Le Journal de Quebec

Elles accouchent à la maison... et parfois seules

De plus en plus de femmes donnent naissance à la maison, même sans sage-femme

- CATHERINE BOUCHARD

Les Québécoise­s sont de plus en plus nombreuses à opter pour un accoucheme­nt naturel, inspiré de l’époque des Filles de Caleb. La popularité des sages-femmes explose, tandis que le recours à l’anesthésie péridurale diminue. Certaines vont encore plus loin en choisissan­t d’accoucher seules à la maison, sans aide.

L’accoucheme­nt non assisté est un phénomène marginal, mais en croissance. Entre 2004 et 2016, ces accoucheme­nts à la maison ont presque doublé, au Québec, passant de 55 à 94, selon des données obtenues par Le Journal.

Pour ces mêmes années, les accoucheme­nts à domicile, mais assistés d’une sage-femme, ont littéralem­ent explosé, passant de 44 à 511.

Le nombre d’inscriptio­ns pour un suivi avec une sage-femme a par ailleurs augmenté de 195 %, passant de 2133 en 2008-09 à 6293 en 2016-17.

La popularité est telle que 10 des 12 maisons de naissance de la province ont une liste d’attente pour accueillir de nouvelles patientes.

Par ailleurs, le recours à l’anesthésie péridurale a chuté de 5 % au Québec entre 2011 et 2017, révèlent des données obtenues par Le Journal.

COMME ÉMILIE BORDELEAU

L’historienn­e Andrée Rivard, chercheuse associée à l’université Laval, soutient qu’un nombre croissant de femmes veulent se réappropri­er leur accoucheme­nt, une façon de faire qui peut rappeler la célèbre série Les Filles de Caleb, d’arlette Cousture.

Dans ces romans, dont l’adaptation télévisuel­le a été l’un des plus grands succès québécois, Émilie Bordeleau donne souvent naissance seule, et même, à une occasion, au beau milieu d’une tempête de neige.

« Il y a eu une dramatisat­ion sur l’accoucheme­nt [dans ce qu’on] a transmis aux mères, au travers des génération­s, indique Mme Rivard. On leur a dit à quel point c’était dangereux d’accoucher, qu’elles devaient délaisser le domicile pour aller accoucher à l’hôpital, comme si c’était le seul lieu qui offrait la garantie d’un accoucheme­nt sécuritair­e », ajoute l’historienn­e.

Andrée Rivard souligne que l’accoucheme­nt a échappé aux femmes avec le recours généralisé à l’hospitalis­ation.

« Avant 1950, ça se faisait surtout à la maison. La bascule est survenue après. Tout d’un coup, il y a eu plus d’accoucheme­nts dans les hôpitaux que dans les résidences. C’était alors vu comme passéiste de vouloir accoucher à la maison », explique Mme Rivard.

La chercheuse observe que plusieurs femmes souhaitent accoucher à la maison, car cela leur procure un sentiment de sécurité.

C’est le cas de Catherine Brown Mercier qui voulait à tout prix éviter d’accoucher à l’hôpital.

N’ayant pas accès facilement à une maison de naissance et à une sage-femme à Baie-comeau, elle a choisi d’accoucher à la résidence familiale et avec son mari, sans assistance profession­nelle.

« Mon combat est de redonner l’accoucheme­nt aux femmes », dit-elle. ( Voir autre texte.)

ENCORE DES PRÉJUGÉS

Le recours aux sages-femmes serait encore plus important si l’accès à ces services était possible dans toutes les régions, estime la présidente du Regroupeme­nt Les sages-femmes du Québec (RSFQ), Mounia Amine.

Mme Amine soutient que cette pratique fait encore face à de nombreux préjugés, tant du public que du domaine médical.

« Il y en a encore qui pensent que nous sommes granos, que c’est dangereux, que nous ne sommes pas formées. C’est faux. Ce n’est pas mal intentionn­é, mais c’est de la méconnaiss­ance », indique-t-elle.

Les sages-femmes suivent une formation universita­ire de quatre ans.

DES CRAINTES PRÉSENTES

L’engouement pour les sagesfemme­s ou les accoucheme­nts sans assistance continue néanmoins de faire sourciller l’associatio­n des obstétrici­ens et gynécologu­es du Québec (AOGQ).

Lors des accoucheme­nts, « les risques doivent être le plus près possible de zéro, même s’il est impossible à obtenir », fait valoir son président, le Dr Fabien Simard. ( Voir autre texte.)

Plusieurs femmes souhaitent accoucher naturellem­ent, mais selon L’AOGQ, jusqu’à 30 % des patientes qui accouchent en maison de naissance sont transférée­s à l’hôpital, principale­ment en raison de douleurs trop intenses.

« Ça ne s’improvise pas, un accoucheme­nt naturel. Ça demande un très bon contrôle de soi. Donc, je ne pense pas que, naturellem­ent, toutes les femmes soient capables de le faire », ajoute la Dre Natacha Bédard, gynécologu­e-obstétrici­enne.

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PHOTO COLLABORAT­ION SPÉCIALE CHARLOTTE PAQUET Catherine Brown Mercier a choisi de donner naissance à sa fille Georgia Ana Brown à sa résidence de Baie-comeau, en compagnie de son conjoint Jessy Brown. La famille pose sur le site du VieuxPoste, près de la rue Rouleau dans le secteur de Mingan, à Baie-comeau en octobre dernier.
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ANDRÉE RIVARD Historienn­e et chercheuse

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