Le Journal de Quebec

RÉTICENTS ÀDEMANDER DE L’AIDE

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Les docteurs Sandra Roman et Claude Prévost se sont intéressés à la santé mentale des médecins, notamment l’épuisement profession­nel, l’abus de substances et le suicide. Questionné­s par notre Bureau d’enquête, ils nous font part de leurs observatio­ns.

Il existe peu de données sur le sujet du suicide des médecins au Québec. Pourquoi ?

Dr Prévost : Il faudrait faire des études qui sont relativeme­nt lourdes et complexes à mettre en oeuvre. C’est un des obstacles qui font probableme­nt qu’on a peu de données. [...] C’est vrai que les données là-dessus [suicide] proviennen­t surtout de l’étranger.

Pourquoi ne s’intéresse-t-on pas davantage au suicide des médecins ?

Dr Prévost : Il est possible que ça suscite peu d’intérêt. Quand on s’intéresse aux enjeux globaux de santé des médecins, c’est clair qu’il y a là quelque chose de plus spectacula­ire que les autres problèmes. C’est dramatique, un suicide, on ne se le cachera pas. En termes de nombre de médecins affectés et en termes de capacité de prévention, par contre, on a plus l’impression de faire des choses utiles pour des problèmes qui sont moins dramatique­s, comme l’épuisement profession­nel.

Pourquoi les suicides sont-ils souvent liés à une erreur médicale ou à une poursuite ?

Dre Roman : Les erreurs, les plaintes, les poursuites, on est vraiment dans un chapitre qui va toucher l’identité profession­nelle de façon très profonde. C’est un des éléments qui va ébranler le plus un médecin. Parfois, c’est anecdotiqu­e, mais parfois, il peut y avoir un lien [avec le suicide]. Dans certains cas, c’est [un facteur] plus important.

Doit-on soutenir les médecins qui vivent ce genre de situations profession­nelles ?

Dre Roman : Oui, tout à fait. On invite les gens à demander de l’aide lorsqu’ils vivent ces situations-là. Il y a des ressources pour les accompagne­r, comme le Programme d’aide aux médecins ou encore l’associatio­n canadienne de protection médicale. Dr Prévost : Est-ce que des collègues peuvent le faire ? Je pense que oui, mais ça prend un minimum de formation pour pouvoir donner ce support-là.

Pourquoi certains médecins hésitent-ils à consulter lorsqu’ils vivent des difficulté­s psychologi­ques ?

Dre Roman : Il y a un grand sentiment de solidarité, je dirais, par rapport à leurs collègues, par rapport à leurs patients même. Ils se disent : si je prends du temps pour y aller [consulter], si je m’absente, la charge accrue que ça peut amener aux collègues, la perturbati­on de la prestation des soins... c’est très, très présent. Il y a des forces importante­s qui vont un peu à l’encontre de consulter, d’aller chercher de l’aide. Est-ce que le stress lié au travail a atteint un seuil critique ? Dr Prévost : Il n’y a pas de mesure à long terme qui permet d’évaluer le stress au travail. Par contre, la profession a changé, elle s’est complexifi­ée et la clientèle s’est alourdie. Les médecins ont aussi changé leurs attentes par rapport à leur vie profession­nelle. Il y a des enjeux de conciliati­on travail-famille. Les attentes de la société envers les médecins ont changé aussi. Il y a 30-40 ans, les poursuites et des choses comme ça, ça ne se discutait pas. On peut suspecter que ces conditions-là ont un impact à différents niveaux, y compris sur le stress.

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SANDRA ROMAN Médecin de famille
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CLAUDE PRÉVOST Santé publique

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