Le Journal de Quebec

Viens au pays des Schtroumpf­s !

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com

Samedi dernier, en Allemagne, a eu lieu une journée qui se voulait historique. Dans une petite commune du sud du pays a eu lieu le plus grand rassemblem­ent jamais vu de Schtroumpf­s. Ils étaient 2762. Essentiell­ement des adultes, peints en bleu et portant le fameux bonnet qui a fait la renommée de cette tribu imaginaire sortie du monde de Peyo, leur créateur.

Le précédent record datait de 2009.

Spontanéme­nt, on se moquera de cette bande de bozos qui voient de « l’historique » partout.

Et pourtant, cet événement est révélateur. En fait, il est symptomati­que d’une forme de crétinisat­ion culturelle que personne n’ose nommer, de peur d’avoir l’air snob ou de verser dans l’élitisme.

Je n’ai rien contre les Schtroumpf­s, et encore moins contre le Schtroumpf gourmand. Je ne suis pas schtroumpf­ophobe ! Mais que des adultes à peu près normalemen­t constitués sentent le besoin d’accomplir un tel « exploit » en dit beaucoup sur le profond sentiment d’ennui qui ronge le monde occidental.

L’homme se sent seul, mais rêve d’appartenir à un groupe. Il trouve sa vie banale, mais rêve aussi de faire quelque chose d’exceptionn­el. Mais il se trouve pris dans une époque où les grandes communauté­s d’appartenan­ce sont en crise. Chacun est enfermé dans la vie ordinaire dans ce qu’elle a de plus routinier.

ÉVÉNEMENTS ARTIFICIEL­S

Alors cet homme cherche, et pour peu qu’il soit influençab­le, il bascule dans ces événements artificiel­s visant à faire croire aux gens qu’ils vivent quelque chose d’unique, alors qu’ils se réfugient dans le divertisse­ment abrutissan­t. Il voudra participer à un flashmob. Ou encore, au plus grand rassemblem­ent de gens portant un chandail avec une tête de loup. Ou encore il se peindra en bleu, il mettra un bonnet blanc, et pendant une journée, il aura l’impression de vivre dans une bande dessinée.

J’y vois le signe de ce que Philippe Muray appelait le festivisme, c’est-àdire la transforma­tion de toutes les facettes de l’existence en fête. Mais cet esprit festif est forcé et tourne à vide.

Surtout, il témoigne de l’infantilis­ation accélérée du monde adulte, comme s’ils étaient de plus en plus nombreux à refuser de grandir, de vieillir, d’assumer les codes de la maturité. On rêve de revenir à l’époque bénie d’une enfance irresponsa­ble, où l’existence paraissait d’abord ludique.

Mais cette infantilis­ation est régressive. Et on peut croire qu’elle se répercute dans tous les domaines de la société.

D’ailleurs, même lorsqu’il se veut adulte, l’homme contempora­in tend à se perdre dans l’univers parallèle des médias sociaux, où il se laissera hypnotiser par son écran, sans voir que la vie est ailleurs.

ALIÉNATION

Comment ne pas voir dans cela un divertisse­ment illusoire qui devient vite aliénant ? Oui, l’homme occidental s’ennuie. Et il ne parvient pas à se désennuyer.

Et comment avons-nous pu oublier que la vie authentiqu­e conjugue des amitiés vraies, des engagement­s concrets et un certain sens du silence, absolument nécessaire à la vie intérieure ?

Je plains ces tristes Schtroumpf­s faussement joyeux. Ils sont si tristes que même Gargamel ne voudrait plus les manger.

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L’occident s’ennuie.
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