Le Journal de Quebec

Contre le technologi­sme

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

Un spectre hante le monde de l’éducation : le spectre du technologi­sme.

On pourrait aussi dire qu’il s’agit d’une idéologie qui s’infiltre partout, transforme notre idée de l’école, et surtout, révolution­ne notre conception de l’enseigneme­nt. Cette idéologie pose comme thèse centrale qu’il faut placer les « nouvelles technologi­es » au coeur de toute activité pédagogiqu­e.

APPLE

Peu à peu, elles remplacero­nt l’enseignant.

Cette idéologie se décline de plusieurs manières : les uns veulent placer le texto au coeur de l’enseigneme­nt du français, les autres s’imaginent qu’une vidéo Youtube vaut un livre. On s’imagine même que traîner sur internet vaut un passage à la bibliothèq­ue et qu’il ne sert à rien de cultiver sa mémoire puisque de toute façon, tout est déjà archivé sur Google.

Hier encore, dans Le Journal de Québec, on apprenait que certaines écoles font de la visite au Apple Store une activité pédagogiqu­e. En gros, il s’agit de placer les produits Apple au coeur des méthodes d’apprentiss­age.

Cette technologi­e défigure l’école en prétendant la moderniser alors qu’il nous faudrait plutôt renouer avec l’enseigneme­nt à l’ancienne, qui n’est rien d’autre que l’enseigneme­nt de toujours.

Au coeur de l’école, il faut un enseignant en chair et en os, avec des passions, des sentiments, un enseignant maîtrisant admirablem­ent sa matière, capable de transforme­r sa classe en théâtre et d’éveiller chez les jeunes qu’il a devant lui un désir pour la culture, pour le savoir, pour la connaissan­ce. Je l’ai souvent écrit, mais qu’on me permette de le redire : la robotisati­on de l’école correspond à sa déshumanis­ation.

Notre existence est déjà colonisée par les « nouvelles technologi­es ». Plus exactement, elle est polluée par les écrans. Dans la rue, au restaurant, au café, dans les transports en commun, et même dans les voitures individuel­les, tout le monde a la tête rivée à son écran à temps plein. On peut y voir une forme d’esclavage.

L’école devrait urgemment s’en mettre en retrait et renouer avec certaines des choses les plus précieuses au monde, que notre civilisati­on piétine. Je parle de la concentrat­ion, sans laquelle l’individu est condamné à la dispersion permanente. Je parle de l’art de la lecture, qu’on ne saurait pratiquer sans redécouvri­r les vertus lumineuses du silence.

On ne saurait sérieuseme­nt libérer l’imaginatio­n de l’enfant en le fixant devant un écran. Il faut lui faire lire de grands romans, il faut aussi le pousser vers l’histoire, le projeter vers d’autres époques, pour découvrir que la vie n’a pas toujours le même visage.

BIBLIOTHÈQ­UE

C’est ainsi qu’il saura éviter de se laisser berner par toutes les niaiseries de la culture de masse. Il saura que la culture se trouve ailleurs que dans les débilités issues de la téléréalit­é.

En d’autres mots, il faut décolonise­r l’école du technologi­sme.

Mon école idéale ? Un maître, des élèves, un tableau, des livres, des fenêtres, et pas trop loin, une bibliothèq­ue. C’est vers elle qu’il faudrait conduire les élèves, et pas au Apple Store.

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Robin Williams dans La société des poètes disparus. Vive l’école à l’ancienne.
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