Le Journal de Quebec

Nos ballots maquillés pour l’inde

Notre journalist­e a infiltré un centre de tri et dévoile les coulisses de la crise du recyclage

- ANNABELLE BLAIS

Équipement­s désuets, conditions de travail difficiles et contaminat­ion : l’infiltrati­on d’un centre de tri démontre l’ampleur de la crise du recyclage. Même l’inde refuse de devenir notre poubelle, et les centres de tri sont forcés de maquiller les ballots qu’on exporte.

C’est ce que notre Bureau d’enquête a découvert en infiltrant l’un des pires centres de tri du Québec, selon nos sources, situé à Châteaugua­y, sur la Rive-sud de Montréal.

Le resserreme­nt du marché indien, après la Chine en 2018, augmente la pression sur les centres de tri, qui reçoivent beaucoup trop de déchets non recyclable­s.

Tuyau d’arrosage, pièce de voiture ou couches pleines d’excréments, notre journalist­e Dominique Cambron-goulet a pu constater la contaminat­ion sur les lignes de tri.

Dans son récit choc à lire en pages 39 à 43, il raconte dans quelles conditions le contenu de notre bac bleu est traité, après avoir travaillé comme trieur pendant six jours.

Il a d’ailleurs été témoin d’un rappel à l’ordre de l’inde. « Les douanes, en Inde, sont rendues plus difficiles astheure », a averti le patron des trieurs, un après-midi du mois d’août. Un des centres de la compagnie a failli se faire renvoyer ses ballots, mais ils leur ont laissé une dernière chance. « Ils n’aiment pas bien ça les plastiques […] c’est très important à enlever. »

BALLOTS « NETTOYÉS »

Ainsi, pendant tout un quart de travail, notre journalist­e a été affecté au « maquillage » de ballots, c’est-à-dire retirer, à l’aide de petites pinces, les déchets apparents.

La pratique semble courante, mais étant donné le contexte, le contremaît­re insiste pour que les employés s’appliquent.

Notre journalist­e a ainsi pu éviter à un trieur indien le désagrémen­t de tomber sur des pelures d’orange, des plaques d’immatricul­ation, ou du blé d’inde... venu du Québec.

« Depuis le 30 août, ça prend des licences du gouverneme­nt indien. La fermeture de l’inde, c’est un peu comme ce que la Chine a fait, confirme Yves Noël, courtier en recyclage et président de YNC Consultant­s. Ils essaient de limiter les dégâts et l’envoi de déchets, car le plastique pollue beaucoup, et à la mousson, c’est intense, le plastique se retrouve dans les cours d’eau. »

Le resserreme­nt du marché indien est redouté par plusieurs centres de tri qui ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme lors de la commission parlementa­ire sur le recyclage du verre à Québec, en août dernier.

« C’est le papier, la grande préoccupat­ion, a expliqué aux députés Frédéric Potvin, directeur général du centre de tri Tricentris à Terrebonne. Et là, le Vietnam n’en prend plus, ou à peu près, l’indonésie n’en prend plus, la Chine n’en prend plus. Donc, il nous reste l’inde. Il y a à peu près un seul pays pour l’ensemble de toute la matière recyclée mondiale, et c’est l’inde. Donc, c’est préoccupan­t et ça urge de trouver une solution pour notre papier recyclé au Québec.»

UNE CRISE

Déjà, la quasi-fermeture du marché chinois il y a deux ans a plongé l’industrie du recyclage dans une crise.

« Dans le temps, on envoyait toutes sortes de choses en Chine et ils étaient 50 000 personnes dans l’entrepôt qui triaient chacun des morceaux, et pour ce qui n’était pas bon, il y avait une terre en arrière et ils faisaient un trou et mettaient ça là », explique Yves Noël.

« Il y a deux ans, la Chine nous dit “triez votre stock, on ne veut pas être votre poubelle”, et il y avait des centres de tri paresseux, explique un autre courtier, qui a requis l’anonymat. Mais depuis, il y a eu des améliorati­ons et des investisse­ments ont été faits. Avant, les ballots de papier pouvaient contenir jusqu’à 20 % de matières autres que du papier. Aujourd’hui, c’est peut-être 2 % — 5 % », soutient-il.

Si certains centres de tri tirent mieux leur épingle du jeu, d’autres traînent encore de la patte, comme vous le constatere­z dans notre reportage.

— Avec la collaborat­ion de Dominique Cambron-goulet et

Jean-françois Gibeault

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CAPTURE D’ÉCRAN Le centre de tri de Châteaugua­y, sur la Rive-sud de Montréal, où notre journalist­e s’est infiltré est l’un des pires selon nos sources.

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