6 JOURS À TRIER DES COCHONNERIES
Pour tenter de comprendre la crise du recyclage que vit le Québec, notre journaliste Dominique Cambron-goulet s’est fait embaucher incognito dans un centre de tri. Le quotidien est loin d’être rose. On essaie de séparer à un rythme infernal le contenu de
À travers les cartons (souvent souillés), les plastiques (pas toujours lavés), et le verre (souvent cassé) se trouvent un pneu, puis un autre, un patin, une valise, une couche, et enfin un sac plein de nourriture moisie. «Bon appétit!» crie Jorge, le chef de ligne, sur un ton moqueur. Cette scène est récurrente au centre de tri de Recyclage de papiers MD, à Châteauguay, dans lequel j’ai travaillé pendant six jours. Ici, les cochonneries dans le recyclage sont la norme, et non l’exception. Et ce n’est pas une poignée de travailleurs payés à peine au-dessus du salaire minimum ni même un journaliste se faisant passer pour un trieur qui pourront empêcher le rapide convoi de la contamination de se rendre à l’autre bout du monde. Des ballots de papier mixte, inévitablement encore pleins d’emballages de plastique et d’autres matières, prennent le chemin de l’inde, notamment.
15 h tapant, la cloche sonne. Il faut déjà être à son poste. Le convoyeur, lui, démarre tout de suite.
Le train de matières est en marche. Moi, je suis un peu perdu dans le centre de tri, je ne sais pas quoi faire. « Va en haut, on va t’expliquer », me lance Stéphane, le contremaître.
«Tu prends les gros cartons, tu les mets ici. Plus petits qu’une caisse de bière, tu ne les prends pas. Les bouteilles de vitre, ça va ici, et les canettes, ici, m’explique Jorge, le chef de ligne, en pointant deux chutes en métal et un bac. Si tu vois un sac de plastique plein de recyclage, tu l’ouvres.»
La formation ne dure que quelques minutes. Ici, on apprend surtout sur le tas, au fur et à mesure qu’on a de nouvelles choses à trier.
Les nouveaux venus sont systématiquement placés au tri du carton. C’est le poste le plus simple, mais c’est aussi un des pires ou «près de la merde», comme dirait Rayane, un Français qui a travaillé au centre de tri deux mois pour payer ses vacances au Québec avec deux de ses compatriotes. «La merde», c’est la chute d’arrivée des matières qui montent depuis le «trou de la mort».
Au début de la ligne, tout est à faire. C’est l’endroit idéal pour observer les chaises de camping, les amortisseurs de voiture et autres déchets que les citoyens tentent de faire passer pour du recyclage.
L’odeur n’est pas agréable, mais elle est supportable. J’ai parfois l’impression de trier des poubelles plutôt que du recyclage. Mais à chaque sac de véritables déchets qui passe, mon nez me rappelle que la puanteur serait alors bien pire.
CET INTRAITABLE TAPIS
Dans un des centres les moins technologiques au Québec, 24 employés ont pour mission de trier à la main plus de 50 % de ce qui arrive pêle-mêle des bacs bleus des citoyens d’une trentaine de municipalités de la Rive-sud de Montréal.
C’est plus de 50 000 tonnes de matières recyclables par année qui aboutissent ici.
Tout doit être retiré, sauf le papier. D’abord les gros cartons ondulés, puis les plastiques, les bouteilles de verre, les canettes d’aluminium et, évidemment, les déchets. Mais le convoyeur va très vite, trop vite. Au début, j’ai l’impression d’être moi-même en mouvement. Ça m’étourdit. Je dois reprendre mon équilibre plusieurs fois par jour.
Et la quantité de matières sur le tapis peut être épeurante. « Le stock est pas beau, câlisse », « le niveau est trop haut » peste parfois Papi, un des chefs de ligne.
La mission des trieurs est très difficile, voire impossible. Selon mes calculs, il faudrait que chaque trieur réussisse à séparer presque deux tonnes de matière par jour du papier, pour que tout soit trié correctement.
Après la première salle de tri, il y a bien un aimant qui réussit à extirper une partie des cannes de conserve, et des rouleaux de caoutchouc s’occupent de filtrer les petites particules, dont les éclats de verre. Mais ce n’est pas assez.
Papier, carton, contenants de plastique, verre, canettes défilent mélangés jusqu’au dernier des trieurs.
L’OEIL AIGUISÉ
Au carton, le tri est simple, il n’y a presque qu’une seule chose à ramasser. Mais plus on avance sur la ligne, plus il faut avoir les mains vives et l’oeil aiguisé.
« Ici, l’important ce sont les sacs, mais ne néglige pas ton carton », me stipule Jorge, alors que je peine déjà à attraper les centaines de sacs de plastique qui défilent sous mes yeux.
À certains postes, il y a quatre ou cinq différents matériaux à collecter.
«Ici, tu ramasses les sacs et les bouteilles d’eau. Ramasse toutes les bouteilles d’eau. L’important, c’est les sacs, t’enlèves tous les sacs. S’il y a des canettes, ta boîte est en arrière. La petite margarine [plastique numéro 5], tu connais la petite margarine? Bon ben, ta boîte est là », m’explique Papi au début de ma quatrième journée, la première dans la salle de tri des plastiques.
Juste ramasser toutes les bouteilles d’eau paraît une tâche simple, mais c’est déjà pratiquement impossible de ne pas en laisser passer.
Mes responsabilités s’accumulent. Je dois aussi disposer de bacs des autres collègues qui ont fait le plein de sacs ou d’aluminium.
En plus, il y a des pièges. « Celle-là, elle n’est pas bonne, elle est foncée. Tu vois le