Le Journal de Quebec

BBAVURESUR­ES ENEN SÉRIE DE LA POLICE

Et la triste conclusion, c’est que le meurtre de la jeune Sandra Gaudet de Val-d’or est un crime non résolu

- Frédérique Giguère l Fgiguerejd­m

Il y aura bientôt 30 ans que la famille d’une adolescent­e de 14 ans agressée sexuelleme­nt, assassinée, puis abandonnée nue dans un banc de neige de Val-d’or attend des réponses. L’état a déployé des efforts titanesque­s pour envoyer deux innocents derrière les barreaux, avant qu’ils ne soient finalement acquittés 16 ans plus tard. Malgré tout ce temps gâché, le mystère demeure ; qui a tué la jeune Sandra Gaudet ? Selon un auteur, à ce stade-ci, seule une enquête publique permettrai­t de trouver la réponse.

Durant la soirée du vendredi 9 mars 1990, l’adolescent­e quitte sa maison pour se rendre chez son copain, qui vit à proximité.

N’ayant aucune nouvelle depuis, sa mère se rend au poste de police le lendemain après-midi pour signaler la disparitio­n de sa fille.

Une partie des vêtements de la petite sont trouvés le dimanche en fin de journée à l’angle du boulevard Barrette et du chemin de la Baie-carrière. Il manque toutefois ses bottillons et sa petite culotte, qui n’ont à ce jour jamais été retrouvés. Le lendemain matin, vers 9 h, un sergent de la police municipale de Val-d’or remarque ce qu’il croit être des jambes de mannequin en bordure du chemin de la Baie-carrière, à environ un kilomètre de l’endroit où les vêtements de Sandra Gaudet ont été trouvés. En s’approchant, il réalise rapidement qu’il ne s’agit pas d’un mannequin, mais bien du petit corps de l’adolescent­e.

SCÈNE D’HORREUR

Ses bas noirs étaient toujours dans ses pieds, mais partiellem­ent retirés. Ses jambes, couvertes d’ecchymoses et d’égratignur­es, étaient bien à la vue.

Son tronc et sa tête étaient complèteme­nt enfouis dans la neige. Une imposante marque rouge était visible sur son cou, et une trace de morsure bleutée était apparente sur son sein gauche.

Ses lèvres étaient complèteme­nt bleues. Elle portait toujours son soutien-gorge, mais il était déchiré à l’avant de sorte que sa poitrine était exposée. Tous ses autres vêtements avaient été retirés.

Le banc de neige était si haut que la dépouille était difficile à apercevoir de la rue. Elle se trouvait également non loin du fossé, si bien que les enquêteurs ont dû enfiler des raquettes pour s’en approcher.

Le Journal a eu accès aux 159 photos de la scène de crime prises lors de la découverte des vêtements et du cadavre de l’adolescent­e. Leur consultati­on révèle un point flagrant : la jeune Sandra Gaudet a été abandonnée de façon absolument sordide et inhumaine. Son assassinat fait l’objet d’un livre, Meurtriers sur mesure, écrit par l’expert en criminolog­ie Jean Claude Bernheim, dont la réédition par Les éditions du Journal sortira en librairie mercredi. Une série sera également diffusée dès jeudi sur Club illico.

L’ENQUÊTE PREND UNE DIRECTION

Après avoir rencontré de nombreux témoins, les agents ont concentré leurs efforts sur Laurent Taillefer, puisqu’un véhicule s’apparentan­t au sien aurait été vu peu de temps après la disparitio­n de Sandra Gaudet sur le chemin où son corps a été retrouvé.

L’homme de 50 ans était un camionneur célibatair­e qui jouissait d’une belle réputation dans la communauté valdorienn­e. Il conduisait un Chevrolet Tracker rouge au toit blanc.

Plusieurs autres témoins ont toutefois mentionné aux enquêteurs avoir vu une voiture, et non un VUS comme le sien. Ceuxci n’ont fait aucune mention d’un toit blanc.

Les policiers semblent avoir choisi d’écarter ces témoignage­s. Pour une raison qui demeure inconnue à ce jour, ils ont canalisé leurs efforts sur ceux qui identifiai­ent le Tracker de Laurent Taillefer.

Peu de temps après, la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC) a contacté la police locale de Val-d’or au sujet du fils de leur suspect et de son meilleur ami.

Un informateu­r de la GRC aurait fortement suggéré aux autorités d’ajouter les noms de Billy Taillefer, 23 ans, et de Hugues Duguay, 21 ans, à la liste des suspects. Pour quelle raison ? Personne ne l’a jamais su. C’est ainsi que le cauchemar de deux jeunes amis a pris naissance.

ARRESTATIO­N URGENTE

Environ un mois et demi après la découverte du corps de Sandra Gaudet, les enquêteurs ont arrêté Laurent Taillefer, Billy Taillefer et Hugues Duguay, et les ont amenés au poste de police.

N’ayant aucune preuve matérielle pour convaincre un juge de leur octroyer un mandat, les policiers ont dû user d’imaginatio­n pour asseoir leurs trois suspects dans une salle d’interrogat­oire.

Dans une conversati­on téléphoniq­ue, alors qu’il était écouté, Laurent Taillefer mentionne son envie de s’envoler vers la Floride pour aller rejoindre son amie. Les policiers utilisent cette informatio­n pour arrêter les trois hommes, prétextant qu’il s’agissait d’une urgence.

Au terme de trois interminab­les interrogat­oires, les suspects finissent par « craquer », selon ce qu’on peut lire dans les notes des policiers.

Billy Taillefer signe une déclaratio­n incriminan­te dans laquelle il explique que, le soir du 9 mars 1990, son ami et lui ont forcé l’adolescent­e à rentrer dans l’appartemen­t de Laurent Taillefer, qui était absent.

Après avoir été agressée, Sandra Gaudet aurait été étranglée par Billy Taillefer. Ils auraient alors pris le Tracker de Laurent Taillefer pour aller se débarrasse­r du corps. Hugues Duguay déclare essentiell­ement la même chose, mais refuse de signer le document. Laurent Taillefer confirme la version des faits des deux jeunes hommes, tout en refusant lui aussi de signer la déclaratio­n.

À noter qu’à ce jour, aucune trace de Sandra Gaudet n’a été trouvée dans l’appartemen­t de Laurent Taillefer ni dans sa voiture.

FAUX TÉMOIGNAGE­S

Lors de leur procès, les trois hommes déclarent avoir livré de faux témoignage­s, sous prétexte que la pression mise par les enquêteurs était devenue insoutenab­le.

« Leur erreur a été de croire que le système judiciaire serait partial et verrait bien qu’il n’y a aucune preuve physique pour appuyer leurs aveux, mais ils avaient tort, malheureus­ement », estime Jean Claude Bernheim.

Le 1er février 1991, Billy Taillefer et Hugues Duguay sont donc reconnus coupables de meurtre prémédité par un jury.

Le cas de Laurent Taillefer s’est pour sa part clos six ans après la découverte du corps, lorsque le camionneur en a eu assez des dizaines de reports et a fini par accepter de plaider coupable à une accusation d’entrave à la justice. Il a écopé d’une semaine de prison avec sursis.

Appuyés de leur famille, Billy Taillefer et Hugues Duguay ont passé les années suivantes à se battre afin de recouvrer leur liberté et blanchir leur nom.

Ils y sont finalement parvenus… 16 ans après le début de toute cette histoire.

12 ANS EN PRISON

À l’été 2006, un juge de la Cour suprême a finalement reconnu que les aveux de Billy Taillefer et d’hugues Duguay n’étaient pas admissible­s.

Après avoir passé 12 ans derrière les barreaux, le duo a été libéré.

En dépit de la décision d’un juge du plus haut tribunal du Canada, Billy Taillefer et Hugues Duguay sont encore aujourd’hui stigmatisé­s par de nombreux habitants de leur région.

« Malgré les nombreuses erreurs commises par les policiers, les procureurs et les juges dans ce dossier, malgré l’absence de toute preuve fiable, il y a encore des gens qui croient qu’ils l’ont tuée », s’indigne M. Bernheim.

À ce jour, personne d’autre n’a été arrêté pour le meurtre de Sandra Gaudet. Malgré tout, le dossier est classé « clos » à la Sûreté du Québec (SQ), qui indique avoir déjà remis l’ensemble de son enquête au Directeur des poursuites criminelle­s et pénales en 1990.

« Les preuves recueillie­s nous permettaie­nt d’identifier ceux que nous considéron­s comme les auteurs, maintient le lieutenant Hugo Fournier, porte-parole de la SQ. À la suite du processus judiciaire qui s’est déjà tenu [...] il ne serait pas possible de porter de nouvelles accusation­s pour le même crime contre les mêmes personnes. »

COMMISSION D’ENQUÊTE RÉCLAMÉE

La majorité des enquêteurs et le procureur assigné au dossier à l’époque sont toujours vivants aujourd’hui, bien qu’ils aient vraisembla­blement tous pris leur retraite. Ils sont principale­ment dans la soixantain­e, et certains ont même 70 ans et plus.

Selon Jean Claude Bernheim, il est temps qu’une enquête publique soit tenue pour enfin faire la lumière sur les nombreuses bavures qui ont volé 16 ans de la vie de deux innocents.

Au cours des dernières années, l’expert en criminolog­ie s’est souvent rendu en Abitibi pour étudier le dossier et rencontrer les personnes impliquées de près ou de loin. De fil en aiguille, il dit avoir rencontré un témoin clé.

Cet homme, qui n’aurait aucun lien avec le meurtre de Sandra Gaudet, serait celui qui a été vu dans le véhicule rouge identifié par les témoins de l’époque. Bien que sa présence à cet endroit au beau milieu de la nuit ne soit aucunement criminelle, des raisons personnell­es ont fait en sorte qu’il n’a jamais contacté les policiers pour les en informer.

Le hic, c’est que toute l’enquête tient sur le fait que le véhicule rouge de Laurent Taillefer aurait été vu près de l’endroit où le corps de Sandra Gaudet a été retrouvé. Selon leur confession, qui s’est finalement avérée inadmissib­le, Billy Taillefer et Hugues Duguay auraient utilisé ce véhicule pour se débarrasse­r du cadavre.

« J’ai rencontré la vraie personne qui était dans le véhicule rouge, et ce n’est pas Laurent Taillefer, et cette personne n’a aucun lien avec lui ni avec cette histoire. Toute la théorie des enquêteurs n’a donc aucun sens », indique M. Bernheim.

L’auteur refuse toutefois de divulguer le nom de cet homme tant et aussi longtemps que le gouverneme­nt n’aura pas déclenché une enquête publique.

« Ce serait bien aussi qu’on adresse des excuses aux Taillefer et aux Duguay pour tout le mal qu’on leur a causé et qui les touche encore aujourd’hui, près de trente ans plus tard », estime-t-il.

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 ?? PHOTOS COURTOISIE, SÛRETÉ MUNICIPALE DE VAL-D’OR ?? 1. Un policier cherche des preuves à la sortie de la résidence de Laurent Taillefer peu après la découverte du corps de Sandra Gaudet en mars 1990. 2. Les enquêteurs ont rapidement été déployés en bordure du chemin de la Baie-carrière, à Val-d’or, lorsqu’un agent a trouvé le cadavre de l’adolescent­e le lundi 12 mars 1990. 3. Le Chevrolet Tracker rouge de Laurent Taillefer a été l’élément initial de l’enquête. 4. La chambre de Laurent Taillefer, où la victime aurait été agressée et tuée. 5. Cette partie du chemin de la Baie-carrière, où Sandra Gaudet a été retrouvée, est un endroit isolé et boisé de Val-d’or.
6. Les vêtements de Sandra Gaudet, notamment son manteau de jeans et son pantalon blanc, ont été découverts sur le chemin de la Baie-carrière le dimanche 11 mars en fin de journée, quelques heures avant qu’on ne retrouve la jeune fille à environ un kilomètre de là.
PHOTOS COURTOISIE, SÛRETÉ MUNICIPALE DE VAL-D’OR 1. Un policier cherche des preuves à la sortie de la résidence de Laurent Taillefer peu après la découverte du corps de Sandra Gaudet en mars 1990. 2. Les enquêteurs ont rapidement été déployés en bordure du chemin de la Baie-carrière, à Val-d’or, lorsqu’un agent a trouvé le cadavre de l’adolescent­e le lundi 12 mars 1990. 3. Le Chevrolet Tracker rouge de Laurent Taillefer a été l’élément initial de l’enquête. 4. La chambre de Laurent Taillefer, où la victime aurait été agressée et tuée. 5. Cette partie du chemin de la Baie-carrière, où Sandra Gaudet a été retrouvée, est un endroit isolé et boisé de Val-d’or. 6. Les vêtements de Sandra Gaudet, notamment son manteau de jeans et son pantalon blanc, ont été découverts sur le chemin de la Baie-carrière le dimanche 11 mars en fin de journée, quelques heures avant qu’on ne retrouve la jeune fille à environ un kilomètre de là.
 ??  ?? MEURTRIERS SUR MESURE Jean Claude Bernheim Les éditions du Journal En librairie le 25 septembre
MEURTRIERS SUR MESURE Jean Claude Bernheim Les éditions du Journal En librairie le 25 septembre

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