Le dilemme de l’urgence
Il y a de l’urgence dans l’air.
La formation d’un « cabinet de guerre » s’impose même, selon Elizabeth May.
À l’assemblée nationale, la CAQ a accepté une motion, mercredi, qui officialise la notion d’« urgence climatique ». À Ottawa, même le Parti conservateur s’est converti à la notion.
J’en conviens : avec ce qui se dégage des derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont celui sur les océans de mercredi, on comprend qu’on n’a « pas le temps de niaiser ».
Après avoir passé mon jeudi sur le « terrain électoral » à Montréal, j’ai eu quelques intuitions sur les effets politiques potentiels de la notion d’urgence.
LE NPD VIOLE UNE RÈGLE
D’abord, je me suis rendu devant le local électoral du candidat libéral Steven Guilbeault, rue Saint-denis, où le NPD avait organisé une mise en scène : ils y ont déposé un faux morceau de pipeline estampillé « libéral ». Le but : traiter le candidat libéral de traître à la cause verte (sans utiliser le mot).
Ce faisant, le NPD violait une règle non écrite selon laquelle on ne manifeste pas, en pleine campagne électorale, devant le local électoral d’un adversaire.
Quand j’ai interrogé le candidat Alexandre Boulerice à ce sujet, il a entamé sa réponse par : « Moi je pense que c’est nécessaire de dire la vérité aux gens. » Évidemment, quand tu connais la « vérité » et qu’elle est couplée à une urgence, nulle règle ne peut tenir. Plein de religieux l’ont démontré depuis des siècles, dirait Brassens.
Difficile de ne pas croire que le NPD agissait aussi sous le coup d’une autre urgence, électorale celle-là. Dans le sondage Léger- Le Devoir d’hier, à la question quel parti « représente le mieux [votre] opinion sur les questions environnementales et la lutte contre les changements climatiques », seuls 5 % des répondants ont choisi le NPD ! Aux yeux d’une bonne partie des électeurs, l’orange n’est pas le nouveau vert.
« CABINET DE GUERRE »
Début d’après-midi, la chef du Parti vert Elizabeth May avait convoqué les médias à Montréal avec ses candidats de la métropole. Face à l’urgence climatique, « ce n’est pas une question de négociation, ce n’est pas une question de débat », a-t-elle martelé.
La formation d’un « cabinet de guerre » s’impose même, selon elle ; inspiré de ce qui s’est fait durant la Deuxième Guerre mondiale.
L’urgence climatique nécessite-t-elle des mesures de guerre, l’état d’urgence ?
Tout cela rappelle une vieille querelle. Sommes-nous réduits au choix, comme l’écrivait déjà l’écologiste René Dumont dans les années 1980, entre « La contrainte ou la mort » ? Notre situation nous force-telle à paraphraser la devise du New Hampshire et dire : « Live free “and” die » ?
Mme May refuse ces alternatives et répond que c’est la partisanerie et non la démocratie que l’urgence nous force à mettre entre parenthèses.
En apparence ennuyeuse, cette élection soulève de graves questions, je trouve. Pensez-y en marchant aujourd’hui.