À l’ombre des manifs
Samedi soir, je soupe chez des amis, des gens de mon âge.
Ils étaient allés à la marche pour l’environnement de la veille. Ma fille et tous ses amis aussi.
Un événement admirable, pacifique, festif, engagé dans le meilleur sens du terme.
Ce jour-là, j’étais à Québec pour un débat sur la réforme du mode de scrutin.
Mais pendant que je faisais le trajet du retour, je pensais au sondage Léger publié la veille de la manifestation.
ÉCONOMIE
Quel sera LE sujet qui influencera le plus le vote des Canadiens dans trois semaines ?
L’économie et les taxes, et de loin, pour 43 % d’entre eux.
L’environnement et la lutte contre les changements climatiques ne sont la question prioritaire que de… 16 % des Canadiens.
Les Québécois n’ont pas des opinions statistiquement différentes.
Nous sommes un peu plus verts, mais à peine, sans doute parce que nous consommons du pétrole importé, alors que dans l’ouest, la production de pétrole est la colonne vertébrale de leur économie.
Nos élus savent que l’électeur moyen et silencieux priorise son portefeuille.
Si l’environnement était une préoccupation centrale, jamais Trudeau n’aurait improvisé cette annonce loufoque de zéro émission de carbone en 2050, qui n’est accompagnée d’aucune mesure concrète.
Si l’environnement était une préoccupation centrale, jamais Andrew Scheer ne se permettrait de faire ouvertement campagne pour un corridor pétrolier traversant tout le Canada.
Juste avant d’écrire cette chronique, j’ouvre mon journal favori, celui-ci, et je reçois en pleine face le spectaculaire reportage sur le Nissan Titan 2020 et son «puissant» V8.
On nous explique que ce monstre est conçu pour venir concurrencer les autres mastodontes du marché : le Ram 1500, le Chevrolet Silverado, le GMC Sierra, le Ford-150 et le Toyota Tundra. Ouais… Plus tard, à la cafétéria de l’université, je me retrouve au milieu d’un océan d’ustensiles et de cellulaires en plastique, et de contenants en styromousse. Ouais… Les forces qui produisent le réchauffement climatique sont aussi celles qui nous nourrissent, nous habillent, nous réchauffent, nous déplacent, nous informent, et assurent nos emplois, nos revenus, nos communications. Tout quoi. La question devient donc : si les moteurs du réchauffement planétaire sont aussi les moteurs du capitalisme, peut-on freiner les premiers sans étouffer le second ? Hmm…
Plus de la moitié des émissions de carbone est survenue après le début des années 1990, alors que les scientifiques sonnaient déjà l’alarme.
Et que valent nos petits gestes face à une Chine et une Inde qui nous disent : excusez, mais pourquoi n’aurions-nous pas droit, nous aussi, à l’abondance matérielle que vous, Occidentaux, tenez pour acquise depuis 200 ans ?
Vous leur répondez quoi ?
Nos élus savent que l’électeur moyen et silencieux priorise son portefeuille.
PÉDAGOGIE
Je ne suis sûr que d’une chose : les changements effectués par ceux déjà sensibilisés sont admirables, mais insuffisants.
Il faut provoquer des changements chez ceux qui, pour le moment, n’en voient pas la nécessité.
Et ceux-là, on ne les convaincra pas en les engueulant, en les culpabilisant, en leur disant qu’ils volent aux jeunes leur avenir.