Couper plus de forêts pour réduire les GES, vraiment ?
La prétention du gouvernement Legault analysée par plusieurs experts
Le gouvernement Legault a annoncé sa nouvelle stratégie forestière : il veut couper plus d’arbres et il soutient du même souffle que cette méthode permettra une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec. Cette affirmation est inexacte, mais il est vrai que la forêt québécoise peut aider dans la lutte contre les changements climatiques.
« Quand un arbre casse, quand il n’est plus en santé, ça devient un émetteur de carbone. Si on plante juste des arbres et qu’on ne fait pas de gestion de forêt, un moment donné tu vas avoir un effet inverse, la forêt ne fera plus son travail de capter le carbone », a lancé le ministre de la Forêt, Pierre Dufour, en début de semaine. Cette affirmation a été immédiatement décriée par les environnementalistes.
L’argument de M. Dufour est le suivant: un arbre mort, dans la forêt, se décompose et libère des GES. S’il est coupé et utilisé dans la construction, le carbone qu’il contient sera emprisonné pendant longtemps.
La réalité est beaucoup plus complexe, note Xavier Cavard, titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MFFP sur la gestion du carbone forestier, de l’université du Québec en Abitibi-témiscamingue.
« Voir un arbre mort comme une perte, c’est un vieux discours », souligne-t-il.
DAVANTAGE DE CARBONE
Tout d’abord, le sol de la forêt boréale est un important puits de carbone.
Lorsqu’on coupe les arbres, les résidus de feuilles, de branches et d’écorce qui s’y trouvent peuvent se décomposer plus rapidement et libérer de grandes quantités de GES.
Une forêt âgée avec un épais couvert d’humus peut émettre davantage de carbone une fois qu’elle est rasée.
Plus au nord, les arbres poussent plus lentement ; la période où les terres déboisées n’absorberont plus de carbone est donc plus longue qu’au sud du Québec.
Un arbre mort peut dégager son carbone sur 100 ans puisqu’il se décompose lentement.
Si l’on coupe une vieille forêt pour en faire du papier, il sera relâché dans l’atmosphère en moins de cinq ans, ajoute M. Cavard.
Pour maximiser le gain environnemental, le bois doit remplacer l’acier ou le béton, des matériaux polluants.
C’est pourquoi le gouvernement veut encourager son utilisation dans l’érection d’immeubles. « Mais ce n’est pas chose faite », note le professeur Luc Bouthillier, de l’université Laval.
Une partie importante du bois récolté n’est pas destinée à la construction, mais à un usage moins durable comme le papier.
CAMIONS
Il y a aussi la distance : le bilan carbone s’alourdit en allant chercher du bois en camion à plusieurs centaines de kilomètres des scieries, ajoute M. Bouthillier.
Le ministre Dufour souhaite pourtant encourager les industriels à abattre des arbres toujours plus loin.
Pour l’instant, ces vieilles forêts sont jugées non rentables en raison du coût de transport élevé.
Québec veut aider à l’aide de « mécanismes qui vont donner un coup de main aux industriels pour maximiser la coupe forestière ».
Il songe à subventionner le transport ou diminuer les redevances.
EXPLOITATION INTENSIVE
Mais comment peut-on utiliser la forêt pour lutter contre les changements climatiques ?
M. Cavard présente une hypothèse : séparer la forêt en trois zones distinctes.
La première serait une zone d’exploitation intensive avec des essences d’arbre à croissance rapide destinées à la construction et la seconde, une zone de conservation totale. Entre les deux, il propose une forêt naturelle en « aménagement écosystémique », où les entreprises imitent la nature : coupes plus ou moins totales dans les territoires à haute fréquence de feux de forêt, coupe en trouée dans les forêts où les incendies sont plus rares.
Il faudra toutefois plus d’études pour confirmer l’efficacité de cette méthode.
« Je crois que remplacer de vieux arbres par des arbres neufs, ça peut aider du côté de l’environnement. » — François Legault