Le Journal de Quebec

Couper plus de forêts pour réduire les GES, vraiment ?

La prétention du gouverneme­nt Legault analysée par plusieurs experts

- CHARLES LECAVALIER

Le gouverneme­nt Legault a annoncé sa nouvelle stratégie forestière : il veut couper plus d’arbres et il soutient du même souffle que cette méthode permettra une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec. Cette affirmatio­n est inexacte, mais il est vrai que la forêt québécoise peut aider dans la lutte contre les changement­s climatique­s.

« Quand un arbre casse, quand il n’est plus en santé, ça devient un émetteur de carbone. Si on plante juste des arbres et qu’on ne fait pas de gestion de forêt, un moment donné tu vas avoir un effet inverse, la forêt ne fera plus son travail de capter le carbone », a lancé le ministre de la Forêt, Pierre Dufour, en début de semaine. Cette affirmatio­n a été immédiatem­ent décriée par les environnem­entalistes.

L’argument de M. Dufour est le suivant: un arbre mort, dans la forêt, se décompose et libère des GES. S’il est coupé et utilisé dans la constructi­on, le carbone qu’il contient sera emprisonné pendant longtemps.

La réalité est beaucoup plus complexe, note Xavier Cavard, titulaire de la Chaire de recherche UQAT-MFFP sur la gestion du carbone forestier, de l’université du Québec en Abitibi-témiscamin­gue.

« Voir un arbre mort comme une perte, c’est un vieux discours », souligne-t-il.

DAVANTAGE DE CARBONE

Tout d’abord, le sol de la forêt boréale est un important puits de carbone.

Lorsqu’on coupe les arbres, les résidus de feuilles, de branches et d’écorce qui s’y trouvent peuvent se décomposer plus rapidement et libérer de grandes quantités de GES.

Une forêt âgée avec un épais couvert d’humus peut émettre davantage de carbone une fois qu’elle est rasée.

Plus au nord, les arbres poussent plus lentement ; la période où les terres déboisées n’absorberon­t plus de carbone est donc plus longue qu’au sud du Québec.

Un arbre mort peut dégager son carbone sur 100 ans puisqu’il se décompose lentement.

Si l’on coupe une vieille forêt pour en faire du papier, il sera relâché dans l’atmosphère en moins de cinq ans, ajoute M. Cavard.

Pour maximiser le gain environnem­ental, le bois doit remplacer l’acier ou le béton, des matériaux polluants.

C’est pourquoi le gouverneme­nt veut encourager son utilisatio­n dans l’érection d’immeubles. « Mais ce n’est pas chose faite », note le professeur Luc Bouthillie­r, de l’université Laval.

Une partie importante du bois récolté n’est pas destinée à la constructi­on, mais à un usage moins durable comme le papier.

CAMIONS

Il y a aussi la distance : le bilan carbone s’alourdit en allant chercher du bois en camion à plusieurs centaines de kilomètres des scieries, ajoute M. Bouthillie­r.

Le ministre Dufour souhaite pourtant encourager les industriel­s à abattre des arbres toujours plus loin.

Pour l’instant, ces vieilles forêts sont jugées non rentables en raison du coût de transport élevé.

Québec veut aider à l’aide de « mécanismes qui vont donner un coup de main aux industriel­s pour maximiser la coupe forestière ».

Il songe à subvention­ner le transport ou diminuer les redevances.

EXPLOITATI­ON INTENSIVE

Mais comment peut-on utiliser la forêt pour lutter contre les changement­s climatique­s ?

M. Cavard présente une hypothèse : séparer la forêt en trois zones distinctes.

La première serait une zone d’exploitati­on intensive avec des essences d’arbre à croissance rapide destinées à la constructi­on et la seconde, une zone de conservati­on totale. Entre les deux, il propose une forêt naturelle en « aménagemen­t écosystémi­que », où les entreprise­s imitent la nature : coupes plus ou moins totales dans les territoire­s à haute fréquence de feux de forêt, coupe en trouée dans les forêts où les incendies sont plus rares.

Il faudra toutefois plus d’études pour confirmer l’efficacité de cette méthode.

« Je crois que remplacer de vieux arbres par des arbres neufs, ça peut aider du côté de l’environnem­ent. » — François Legault

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PHOTOS COURTOISIE ET SIMON CLARK Sur cette image à titre illustrati­f, un exemple de coupes qui ont été effectuées à l’automne 2017 sur un flanc des monts aux Perches, dans la réserve faunique de Matane.

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