Le Journal de Quebec

Joker : tout ça pour ça ?

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

En fin de semaine, on est allé voir Joker en famille. Après deux heures dans une salle obscure, à regarder un homme tuer six personnes, je ne suis pas sortie du cinéma en ayant envie de tuer mon prochain dans le métro. Mon fils n’a pas fait de cauchemar ni montré de signes qu’il allait devenir un psychopath­e : il a déclaré que c’était « le meilleur film qu’il avait vu de sa vie ».

Non seulement Joker n’est pas un film qui fait l’apologie de la violence, c’est un film qui dénonce la violence sans fin de cette société détraquée !

L’HOMME QUI RIT

Vous me trouvez inconscien­te d’avoir amené mon ado voir ce film ? Tous les jours, il est exposé aux mauvaises nouvelles dans les journaux, à la radio et la télé (eh oui, son père et sa mère sont journalist­es).

On y détaille la façon dont Ugo Fredette aurait tué son exconjoint­e, des histoires d’enfants violés par des prêtres, un journalist­e saoudien assassiné et démembré en Turquie, des femmes qui se font arracher le clitoris à coups de rasoir par leur tante ou leur grand-mère.

Alors, qu’est-ce qui est le plus traumatisa­nt ? Une vraie violence quotidienn­e, bien réelle ou une violence de fiction ?

Ce qui est vraiment terrifiant dans Joker, bien plus que les six meurtres, c’est la descriptio­n du monde de Gotham : des personnes souffrant de maladies mentales laissées à elles-mêmes (la désinstitu­tionnalisa­tion, ça vous dit quelque chose ?) ; des travailleu­rs sociaux dont les programmes déjà faméliques sont coupés par une administra­tion qui gratte les fonds de tiroir (ça ne vous rappelle pas certaines mesures d’austérité ?) ; une grève des éboueurs qui fait que la ville est remplie de déchets, envahie par des super rats ; un monde glauque où l’humiliatio­n et le mépris sont monnaie courante.

Je ne veux pas divulgâche­r certains éléments clés du film, mais je trouve assez courageux de la part du scénariste et réalisateu­r d’avoir présenté un personnage de mère qui est tout sauf maternelle, aimante et équilibrée.

Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’histoire sordide de la fillette de Granby, abaissée par ceux-là mêmes qui devaient l’élever, abandonnée par ceux-là mêmes qui devaient la protéger.

Bref, Joker est bien plus un film de dénonciati­on (des abus, du mépris, de la maltraitan­ce, de l’échec du filet social) qu’une apologie (de la violence).

Joker décortique les diverses formes de violence insidieuse de notre société et nous force à nous poser des questions dérangeant­es : quand un animateur de talk-show de fin de soirée s’acharne sur un inconnu en le ridiculisa­nt devant ses millions d’auditeurs, pourquoi le public rit-il à gorge déployée ?

Des figures médiatique­s qui humilient des inconnus, ça n’est pas de la violence, ça ?

LA QUESTION QUI TUE

Le 8 décembre 1980, Mark David Chapman a assassiné John Lennon. Cet homme était obsédé par le livre Catcher in the rye ( L’attrape-coeurs) de J.D. Salinger. Il avait d’ailleurs avec lui, au moment de l’assassinat, un exemplaire du livre qu’il a ouvert et lu tranquille­ment après avoir ouvert le feu sur l’ex-beatles.

Dites-moi, gens bien pensants, aurait-il fallu interdire L’attrape-coeurs, pour s’assurer qu’aucun autre illuminé ne s’inspire d’une oeuvre de fiction pour tuer son prochain ?

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