Le Journal de Quebec

De graves lacunes de sécurité dans les données

50 personnes avaient accès aux données personnell­es, et aucune alerte ne détectait les comporteme­nts louches

- HUGO JONCAS, FÉLIX SÉGUIN ET ANDREA VALERIA

Le vol massif de données provoque un constat brutal chez Desjardins : la sécurité de l’informatio­n n’était pas à la hauteur.

Sébastien Boulanger Dorval, l’ex-employé soupçonné d’avoir dérobé les informatio­ns confidenti­elles de 2,9 millions de clients, était loin d’être le seul à pouvoir consulter ces renseignem­ents. En fait, au moins une cinquantai­ne de ses collègues manipulaie­nt ces données jusqu’au 20 juin dernier, a appris notre Bureau d’enquête.

« Il n’y avait pas d’alertes en place pour détecter les comporteme­nts louches », déplore une source au sein de l’institutio­n financière, qui doit rester anonyme parce qu’elle n’a pas l’autorisati­on de parler.

PAS DE PIRATAGE

Boulanger Dorval, un spécialist­e en données de marché, n’a donc pas eu à «pirater» quoi que ce soit pour voler ces informatio­ns, selon notre informateu­r.

«C’était sa job de fouiller dans ces données pour générer des rapports et alimenter les gens de stratégies marketing.»

Desjardins nie cependant cette version des faits. « L’employé à l’origine de la fuite de données n’avait pas les accès pour obtenir les informatio­ns qu’il a transmises à l’extérieur de l’organisati­on, il a dû utiliser un stratagème pour les obtenir», dit la porte-parole Chantal Corbeil.

Les renseignem­ents volés proviennen­t de l’«entrepôt de données» de Desjardins. À l’interne, les employés de l’institutio­n financière l’appellent FMCDI. Il regroupe l’ensemble des bases de données des caisses : bancaires, placements, assurances...

Boulanger Dorval s’y serait pris à trois fois pour télécharge­r les informatio­ns volées, de 2017 à décembre 2018. À deux reprises, il aurait d’abord dérobé quelques milliers de profils.

Finalement, Boulanger Dorval serait retourné dans l’entrepôt de données pour y siphonner les informatio­ns sur près de 3 millions de clients. Pour accéder à FMCDI, les employés utilisent le logiciel SAS Grid Manager.

À l’époque des vols, Desjardins ne l’avait pas programmé pour permettre de savoir exactement ce que Boulanger Dorval aurait pu en extraire.

Le groupe financier a toutefois obtenu, le 27 mai, une ordonnance «Anton Piller» pour faire saisir chez lui les clés USB sur lesquelles sont stockées les données. Cette procédure civile permet de mettre la main sur des éléments de preuve avant qu’ils ne soient détruits.

Le hic : la police, elle, n’a pas accès à cette preuve, placée sous scellé. Ça expliquera­it en partie pourquoi Boulanger Dorval n’est toujours pas accusé.

MESURES DE SÉCURITÉ

À partir de mai, Desjardins a mis en place de nouvelles mesures de sécurité. «Une initiative vient d’être lancée afin de journalise­r tous les accès aux renseignem­ents personnels d’un certain groupe de membres, comme les policiers et certaines personnes “sensibles”, ajoute la source. Le but étant de savoir qui a accédé à ces données. »

Les autorités craignent que des profils de juges, d’avocats, de policiers ou de ministres se soient retrouvés entre les mains du crime organisé.

Le PDG de Desjardins, Guy Cormier, n’a pas pu répondre à nos questions.

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