Le Journal de Quebec

Un Canada divisé

-

Avez-vous hâte de retourner en élections ?

Selon toute vraisembla­nce, le scrutin de lundi aboutira à la formation d’un gouverneme­nt minoritair­e, le quatrième en 15 ans.

Il se pourrait même que celui-ci soit le plus faiblement élu depuis la confédérat­ion, la moyenne des sondages n’accordant même pas le tiers des intentions de vote à un seul des partis en présence.

L’analyse de la conjonctur­e fera bien sûr ressortir la campagne peu inspirante menée par les chefs de chacune des deux formations politiques qui aspiraient à former le gouverneme­nt.

Et ce ne sera pas injuste, les deux partis de tête ayant perdu du terrain tout au long de la campagne, alors que les tiers partis montaient.

TROIS PROJETS

Cela cache toutefois une réalité plus profonde, qui prend ses racines dans la trajectoir­e historique qu’emprunte le Canada. C’est un pays de plus en plus divisé.

Pas simplement par sa dualité linguistiq­ue ni ses dix provinces et trois territoire­s, ni même par son multicultu­ralisme d’état se définissan­t par essence comme une mosaïque de communauté­s.

Il s’agit plutôt de la concurrenc­e entre deux océans de trois projets nationaux distincts.

Passons rapidement sur le Québec, mouton noir de la fédération. Le séparatism­e est peut-être malade, voire mourant, pour citer Jean Chrétien qui aura fini par avoir raison.

Reste que le nationalis­me québécois, lui, demeure bien vivant. Il semble même reprendre de la vigueur à la faveur de l’arrivée au pouvoir de la CAQ de François Legault.

Le projet québécois de vivre à sa manière et d’être le plus souverain possible dans ses champs de compétence­s continue d’exister au sein du Canada et sera représenté au Parlement fédéral par le Bloc québécois.

Le reste du Canada est divisé en luimême. S’y affrontent deux conception­s de ce que ce pays veut devenir.

Le père du Canada moderne, c’est évidemment Pierre Elliot Trudeau, qui a littéralem­ent refondé ce pays en le dotant d’une constituti­on et d’une charte des droits.

Depuis la réinitiali­sation de la fédération, en 1982, chaque premier ministre libéral a apporté une pierre à l’édificatio­n d’un Canada post-national.

Cette ligne droite allait toutefois changer avec l’émergence d’un projet conservate­ur refondé par Stephen Harper, qui avait au moins autant réfléchi à sa vision du Canada que le père Trudeau avant lui.

S’affrontent au Canada deux conception­s de ce que ce pays veut devenir.

S’appuyant sur l’aliénation de l’ouest pétrolier, plus pesant que jamais dans l’économie canadienne, il vint réaffirmer l’idée des deux peuples fondateurs.

Le Canada, né en français, devait reconnaîtr­e la nation québécoise puis assumer son héritage anglo-saxon par un rapprochem­ent avec les États-unis, une célébratio­n des symboles monarchiqu­es et un nationalis­me décomplexé, exprimé notamment lors des Jeux olympiques de Vancouver.

LE GOÛT DE VOTER

Revenons à la campagne. Que s’y est-il passé pour qu’aucun des deux projets ne s’impose, cette fois-ci ?

Il y a d’abord que le fils du père a déçu. Il faut lire les journaux canadiens-anglais pour voir comment les élites intellectu­elles en veulent à Justin de ne pas avoir produit le nouvel âge d’or trudeauist­e qu’elles estimaient mériter.

La baisse plus tardive des libéraux au Québec s’explique beaucoup ainsi : les attentes y étaient moins grandes. En politique comme en amour, la déception est le sentiment dont il est le plus difficile de revenir.

Ajoutons que si le blackface a fait mal à la campagne libérale, c’est probableme­nt en rappelant la propension clownesque de son chef à se promener avec sa malle à costumes.

D’un océan à l’autre, beaucoup de gens sont ulcérés par son style théâtral et larmoyant.

Quant à Andrew Scheer, il n’a pas su, comme Stephen Harper avant lui, proposer une vision conservatr­ice incarnée par quatre ou cinq propositio­ns fortes.

Comme les libéraux, les conservate­urs ont passé la campagne à dire que la plus grande qualité de leur chef était de ne pas être le gars d’en face. Harper n’était pas charismati­que, mais il avait au moins une identité.

Bref, ni les libéraux ni les conservate­urs n’ont donné de raisons aux Canadiens de voter pour eux.

Les premiers, pris avec l’impression laissée par leur gouverneme­nt, ont donné le goût aux progressis­tes d’aller voir ailleurs. Les seconds n’ont rien fait pour agrandir leur coalition politique, qui, si elle est de plus en plus forte, demeure encore minoritair­e au pays.

MATCH REVANCHE

La table est donc mise pour quelques mois de gouvernanc­e tâtonnante sous l’arbitrage du Bloc québécois et du NPD puis pour un match revanche entre les deux grandes conception­s du Canada qui s’opposent.

Maintenant, seront-ce les mêmes chefs qui s’affrontero­nt ? Ironiqueme­nt, Jodi Wilson-raybould et Maxime Bernier, qui pourraient être réélus lundi, auraient pu détenir une partie de la réponse s’ils ne s’étaient pas mis à dos leur ancien parti.

 ??  ?? Stephen Harper Pierre Elliot Trudeau
Stephen Harper Pierre Elliot Trudeau
 ?? CLAUDE VILLENEUVE ?? claude.villeneuve@quebecorme­dia.com
CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Newspapers in French

Newspapers from Canada