Homme au bord de la crise de nerfs
L’heure est au bilan pour Pedro Almodovar qui confie à Antonio Banderas le soin d’incarner Salvador Mallo, son double de celluloïd, tandis que Penelope Cruz tient le rôle de sa mère dans Douleur et gloire.
Avec son 21e long métrage, Pedro Almodovar effectue un voyage au pays des souvenirs. Ceux de sa mère (Penelope Cruz le temps des retours en arrière et Julieta Serrano pour les scènes du présent) en train de laver le linge dans la rivière, celui des cartes des acteurs qu’il collectionne (Salvador Mallo est joué, enfant, par Asier Flores), le déménagement de la famille, ses premiers émois sexuels devant un ouvrier…
Aujourd’hui, Salvador est malade. Il a mal au dos, à la tête, aux oreilles, à l’âme. Alors, avec Alberto (Asier Etxeandia), l’un de ses amis de longue date, il prend de l’héroïne afin, aussi et surtout, de tenter de masquer son manque cruel d’inspiration, d’envies, de désirs.
Pour cette neuvième collaboration avec le cinéaste qui l’a fait connaître, Antonio Banderas porte certains vêtements d’almodovar, se meut avec une grâce hésitante dans un appartement décoré comme le sien, arbore la même coiffure et la même barbe. La beauté nostalgique de l’acteur s’étend à son regard blessé, fatigué, comme empli de regrets. Les larmes ne sont jamais loin, rougissant ses yeux sans pour autant couler. La voix tremblante, le comédien livre ses répliques en les habitant, une sincérité et un naturel qui lui ont d’ailleurs valu le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en mai dernier.
La musique d’alberto Iglesias, un autre habitué du réalisateur qui s’est entouré de bon nombre de ses familiers, sublime les moments les plus poignants, telle cette visite chez le docteur lors de laquelle son amie assistante l’accompagne. Comme d’habitude, couleurs et formes géométriques – le directeur de la photographie, José Luis Alcaine, avait oeuvré sur La peau que j’habite (2011) et Les Amants passagers (2013) – happent le regard du spectateur, facilitant sa plongée dans cet univers tant sentimental qu’intellectuel.
Est-on rassasié au terme des 113 minutes de Douleur et gloire ? Non. Alors, on remet le couvert avec d’autant plus de joie que tout dans ce film nous parle avec acuité. Une acuité d’autant plus intense que ce qui est montré est à la fois complètement étranger et redoutablement familier. Et c’est peutêtre dans cette juxtaposition improbable qu’éclot et vit tout art.