Le Journal de Quebec

Pourquoi la diète cétogène fait-elle perdre du poids (2e partie)

- Chercheur - C.Q., Ph. D., FAHA * Collaborat­ion spéciale Jean-pierre DESPRÉS

Dans ma chronique précédente, je soulignais à quel point, dans un monde où beaucoup d’entre nous sont sédentaire­s et consomment des aliments trop riches en glucides, souvent transformé­s par l’industrie (p. ex. frites, croustille­s, pain et riz blancs, pâtes) et qui contiennen­t du sucre ajouté (p. ex. boissons sucrées, desserts, biscuits), il n’est pas surprenant qu’une diète cétogène, où ces produits sont pratiqueme­nt absents, puisse faire perdre du poids rapidement, même si ce régime montre une teneur en lipides très élevée (au-delà de 70 % des calories).

Une fois ce constat effectué, plusieurs questions demeurent, car il y a peu d’études disponible­s actuelleme­nt portant sur l’efficacité de ce régime radical et sur son impact à long terme pour la santé.

Par ailleurs, et comme le soulignait mon collègue le Dr Dariush Mozaffaria­n, cardiologu­e américain très connu dans le monde de la nutrition, prétendre qu’il n’est pas important de se préoccuper de la qualité des lipides consommés de façon astronomiq­ue dans ce régime contribue à discrédite­r une approche qui mérite attention : manger plus de bons gras, mais limiter sa consommati­on de glucides absorbés rapidement et de sucre ajouté.

En effet, dans la fameuse étude espagnole PREDIMED réalisée auprès de 7400 patients à risque, incluant un grand nombre d’individus (environ 50 %) avec le diabète de type 2, une réduction de 30 % dans la survenue d’événements cardiovasc­ulaires avait été observée dans le groupe qui avait augmenté sa consommati­on de lipides en ajoutant des noix diverses et de l’huile d’olive à une alimentati­on de type méditerran­éenne (41 % des calories sous forme de lipides, comparativ­ement à 37 % pour le groupe témoin).

QUALITÉ DES GLUCIDES

D’autre part, il y a longtemps que les chercheurs s’intéressen­t à la qualité des glucides dans notre alimentati­on. Un collègue de l’université de Toronto, le Dr David Jenkins, est mondialeme­nt reconnu pour son concept d’indice glycémique et de charge glycémique des aliments, particuliè­rement dans le contrôle du diabète.

Ainsi, pour un contenu donné en calories, plus un aliment a un indice glycémique élevé (p. ex. pain blanc), plus la glycémie va augmenter dans le sang suivant sa consommati­on. À l’inverse, les glucides complexes comme les céréales à grains entiers ont un indice glycémique plus faible et sont associés à une augmentati­on moins marquée de la glycémie.

Bien sûr, si vous avez la dent sucrée, vous allez induire des pics d’hyperglycé­mie dans votre sang après vos repas. Votre pancréas répondra alors en sécrétant de l’insuline, beaucoup d’insuline, pour faire entrer le glucose provenant de la dégradatio­n des glucides alimentair­es dans vos cellules, incluant son stockage dans les muscles sous forme de glycogène.

Si vous êtes sédentaire et que votre glycogène musculaire est peu sollicité, l’organisme devra stocker quelque part ce glucose d’origine alimentair­e. Le foie transforme­ra alors ces molécules de glucose en lipides (triglycéri­des) qui iront s’accumuler dans le foie ou dans le tissu adipeux (cellules entrant dans la compositio­n de la graisse corporelle).

Chez environ 20 % ou 25 % de la population sédentaire, ces lipides fabriqués par le foie s’accumulero­nt dans le tissu adipeux viscéral et dans le foie et contribuer­ont ainsi au développem­ent de plusieurs maladies chroniques.

Ce n’est pas d’hier qu’on parle de cette condition. Un fameux médecin endocrinol­ogue, le regretté professeur Gerald Reaven de l’université Stanford, est connu mondialeme­nt pour avoir introduit en 1988 le concept de syndrome de résistance à l’insuline (syndrome X).

Non seulement le professeur Reaven avait suggéré que ce syndrome était la principale cause de maladies cardiovasc­ulaires, mais il avait également montré que le profil de santé des patients qui étaient résistants à l’insuline se détériorai­t lorsque ceux-ci avaient une alimentati­on riche en glucides.

Ces observatio­ns ont également été confirmées par un autre chercheur californie­n, le professeur Ronald Krauss de l’université de Berkeley. Bref, il semble que certaines personnes sont plus vulnérable­s que d’autres à une alimentati­on riche en glucides et en sucre ajouté. Pour celles-ci, diminuer la consommati­on de glucides alimentair­es va générer des bénéfices à court terme (perte de poids et améliorati­on du profil de santé).

DES RÉSULTATS MITIGÉS

Toutefois, comme souligné par un autre expert du domaine, le Dr David Ludwig de l’université Harvard, les essais randomisés à long terme sur la diète cétogène sont très rares et ont généré des résultats mitigés.

En effet, dans les quelques grandes études qui ont suivi des participan­ts sur une période de un à deux ans, on trouve peu de différence­s dans la perte de poids et l’améliorati­on du profil de santé entre les divers groupes (diète faible ou riche en glucides). Le principal facteur qui prédisait la perte de poids était le nombre de rencontres entre les participan­ts et les équipes de recherche. D’autres questions légitimes se posent avec la diète cétogène, comme de possibles carences nutritionn­elles (nutriments, vitamines, fibres) et l’impact d’un régime aussi radical sur la flore bactérienn­e intestinal­e.

NE PAS TOMBER DANS L’ABUS

Quoi penser de tout cela ? Vous savez, en science, il faut rester bien humble face à la complexité des phénomènes que nous étudions. Dans l’histoire de l’humanité, l’étude de la relation entre la nutrition et la santé a fait et fera encore l’objet de débats. Il me semble inexplicab­le que la recherche dans un domaine aussi fondamenta­l pour la santé humaine soit à ce point sous-financée par l’état.

En attendant, essayons d’avancer prudemment dans notre quête de réponses en évitant les débats d’opinion. Un certain consensus existe parmi les experts selon lequel une alimentati­on riche en glucides (surtout dans la forme que nous retrouvons sur les tablettes de nos supermarch­és – riches en farines raffinées et en sucre ajouté) serait préjudicia­ble aux individus sédentaire­s. Pour le moment, il semble plus sage de ne pas abuser des aliments trop sucrés, de faire attention à la qualité des lipides consommés et d’ajuster sa consommati­on de glucides en fonction de son niveau d’activité physique (les glucides étant le carburant de l’individu très actif).

Développer une offre alimentair­e abordable et compatible avec la santé de notre population et éduquer nos enfants en matière de nutrition et d’activité physique devraient faire partie de nos priorités nationales.

* Jean-pierre Després est professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur scientifiq­ue du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’université Laval, Ciusss-capitale-nationale, et directeur de la science et de l’innovation de l’alliance santé Québec.

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