Le Journal de Quebec

Ça va mal ici, ça va être pire ailleurs

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Nous sommes obnubilés par notre propre sort et à juste titre. Aucun Québécois de son vivant n’a connu une pandémie aussi terrifiant­e et meurtrière. Sauf que nous — comme les Italiens, les Espagnols, les Français et les Américains — avons les moyens de nous en sortir pas trop amochés. Ça ne s’annonce pas aussi simple pour les deux autres tiers de l’humanité.

Le coronaviru­s s’en est pris jusqu’à maintenant à des pays équipés pour y faire face. De la Chine à chez nous, en passant par la Corée du Sud, le Japon et l’europe, nous avons tous été ébranlés par la virulence de la COVID-19, mais nous avions les moyens financiers, les institutio­ns publiques et les installati­ons médicales pour réagir. Malgré tout, nous le savons tous, les contrainte­s sont strictes et les bilans, lourds.

Cette semaine, dans la revue Foreign Affairs, un expert en crise internatio­nale et un chercheur en maladies infectieus­es ont uni leur voix pour prévenir que lorsque le coronaviru­s se tournera vers les population­s des pays en développem­ent, la frappe sera foudroyant­e. Tristement, ces pays disposent des conditions parfaites pour amplifier l’impact du virus.

Les infrastruc­tures de santé de base, un peu partout, sont inadéquate­s. La plupart du temps, l’accès à l’eau courante est un privilège et le savon, un luxe. La cohabitati­on familiale rend quasiment impossible, dans la plupart de ces pays, la distanciat­ion sociale, et d’ailleurs, on retrouve dans les grandes villes une densité de population extrêmemen­t élevée.

TRAVAILLER, UNE QUESTION DE SURVIE

À cette réalité, il faut ajouter celle d’un monde du travail où couramment l’argent gagné dans une journée assure la survie… pour ce jour-là. Si peu concevable que puisse être l’idée d’une aide gouverneme­ntale, celle de fermer les entreprise­s ou d’empêcher le commerce pour freiner la propagatio­n du virus devient inimaginab­le.

En d’autres mots, précisent les collaborat­eurs de Foreign Affairs, ces pays, qui sont les moins capables d’imposer le respect d’une distance physique, sont également munis de systèmes de santé parmi les moins performant­s et d’économies parmi les plus précaires. Leurs dirigeants sont confrontés à un dilemme tragique : soit se retrouver avec un chômage de masse et une explosion de pauvreté, soit observer une propagatio­n incontrôlé­e et meurtrière de la COVID-19.

REGARDER AILLEURS ET ACCUSER LES AUTRES

Ici et là, d’ailleurs, les leaders de certains pays n’ont pas aidé la cause de leurs concitoyen­s. Le président brésilien, Jair Bolsonaro, continue, par exemple, de minimiser les risques que pose la COVID-19. Pas étonnant, du coup, qu’au Brésil la courbe des cas soit plutôt une ligne droite vers le ciel. Bolsonaro et le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, en s’activant davantage à atténuer l’effet du virus sur l’économie de leur pays qu’à insister sur la nécessité d’adopter un comporteme­nt sécuritair­e, ont fait le choix de mettre la vie des Brésiliens et des Mexicains en danger.

L’autre conséquenc­e, en plus des pertes de vie, qu’aura cette pandémie sur les pays en développem­ent tient à la prise de conscience par les pays riches de leur dépendance envers la production manufactur­ière étrangère. Il s’agit de voir la nervosité engendrée par le manque de masques chirurgica­ux, de gants et de tenues médicales pour déjà conclure que les pays industrial­isés ne se laisseront plus avoir ainsi.

La mondialisa­tion — avec tous ses travers et les inégalités qu’elle a générées — a tout de même arraché de leur misère des centaines de millions d’habitants des pays en développem­ent. Le virage que ce virus, à lui seul, est en train d’imposer aux économies riches risque bien de faire en sorte qu’on les laissera une nouvelle fois, ces anciens miséreux, à eux-mêmes.

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