Le Journal de Quebec

Un virus athée

- RICHARD LATENDRESS­E

Le Québec laïque actuel regarde d’un oeil détaché, presque amusé les grandes manifestat­ions de foi un peu partout à travers le monde. Peut-être un peu moins en ce jour de Pâques, alors qu’un lointain frisson d’appartenan­ce religieuse s’agite. Nos églises se sont vidées au cours des dernières décennies. On peut en penser ce que l’on veut, mais en ces temps de pandémie, ça tombe plutôt bien.

Peu de causes poussent les gens à se rassembler en masse et à répétition comme les services religieux. Aussi apaisants pour l’âme puissent-ils être, ils incarnent l’inverse de tout ce que les experts médicaux conseillen­t ces jours-ci : rester chez soi ; au pire, maintenir ses distances ; éviter non seulement les grands groupes, mais même les groupuscul­es.

Ce nouveau coronaviru­s a son origine à Wuhan et dans la région de Hubei, en Chine. Pourtant, c’est lorsqu’il s’est mis à se propager en Corée du Sud que nous avons tous compris que les frontières ne tenaient plus. En une semaine à la mi-février, des centaines de nouvelles contaminat­ions avaient été enregistré­es, la plupart liées à l’église Shincheonj­i de Jésus. La secte chrétienne avait tout fait pour cacher ses cas aux autorités sanitaires sud-coréennes.

Rapidement, la contaminat­ion a fait le saut en Iran où d’ailleurs, dans les premiers jours de la crise, le vice-ministre de la Santé avait confirmé être infecté après être apparu en sueur à la télévision nationale. L’épicentre là-bas s’est trouvé être la ville sainte de Qom où, par milliers à chaque semaine, les pèlerins s’entassent. Il a fallu longtemps avant que les autorités iraniennes ne se décident à fermer les lieux saints du pays ; l’iran souffre encore du temps perdu à réagir.

PAS DE PEUPLE ÉLU POUR LE VIRUS

Israël et l’iran se perçoivent comme ennemis jurés ces temps-ci, mais ils partagent les mêmes errements. Le ministre israélien de la Santé, Yaakov Litzman, a, lui aussi, contracté le coronaviru­s. Juif ultra-orthodoxe, il aurait défié les consignes de son propre ministère et pris part à une séance de prière interdite. C’est d’ailleurs au sein de cette communauté ultrarelig­ieuse, qui représente à peine 10 % de la population israélienn­e, que la moitié de tous les cas a été recensée.

Les extrémiste­s juifs n’ont pas le monopole du risque. Le mouvement Tablighi Jamaat – des extrémiste­s musulmans qui souhaitent un retour à l’islam tel qu’on le pratiquait au temps du prophète – a multiplié les grands rassemblem­ents depuis le début de la crise. Conséquenc­es : les croyants, réunis en Malaisie, puis en Indonésie, ont ensuite apporté le virus avec eux dans plusieurs pays, dont le Cambodge, le Bangladesh et l’inde.

PAS DE MONOPOLE DE L’INSOUCIANC­E

Les chrétiens ne sont pas plus fins. En

Louisiane, par exemple, Tony Spell, pasteur évangéliqu­e à la Life Tabernacle Church, s’attend à accueillir au moins 2000 fidèles à sa messe de Pâques. « Nous n’avons pas peur », affirmait-il plus tôt cette semaine, « Dieu nous protégera du Mal et de la maladie. »

Même jusqu’au-boutisme chez Rodney Howard-browne, pasteur d’une mégaéglise de Tampa Bay : « Si vous ne pouvez pas être en sécurité dans une église, vous avez de sérieux ennuis. » Il compte, lui aussi, sur la présence de milliers de croyants à ses services.

Heureuseme­nt, la raison, même en matière de foi, réussit – parfois – à triompher. La place Saint-pierre à Rome, qui peut accueillir 300 000 personnes, sera pratiqueme­nt vide pour la messe du pape François. Et les autorités saoudienne­s ont fermé les mosquées de La Mecque et de Médine et songent même à annuler le hajj, le grand pèlerinage qui devait réunir trois millions de pèlerins en juillet prochain.

Curieux coup du destin d’ailleurs… ou d’abraham, le père des trois grandes religions monothéist­es : la Semaine sainte et Pâques pour les chrétiens, les fêtes de la Pâque juive et le ramadan des musulmans (à la fin du mois) se retrouvent en avril cette année, au coeur de la pire pandémie en plus d’un siècle. Quelqu’un voudrait envoyer un message de solidarité qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

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