Le Journal de Quebec

On sera tous vieux un jour

- JOSÉE LEGAULT

La frontière temporelle et sociale qu’on érige de plus en plus entre les « aînés » et le reste de la société est malsaine. En pleine crise de la COVID-19, plus on voit les morts sortir des CHSLD et des résidences privées, plus ce constat nous prend à la gorge.

Au fil des dernières décennies, sans même en prendre conscience, nous nous sommes peu à peu isolés les uns des autres. Comme ailleurs, les classes sociales nous séparent déjà jusque dans la vieillesse, mais rien ne nous divise autant que la fracture artificiel­le qui nous tombe dessus dès qu’on bascule au-delà de 65 ans.

Même nos villes nous le crient physiqueme­nt. De plus en plus nombreux, dans ces mégacomple­xes d’appartemen­ts de luxe pour « retraités » en quête de « bonheur », les mieux nantis dont la santé tient bon sont « invités » à se payer à grand prix leurs propres « places » douillette­s. Même la vieillesse luxueuse se vit en clan et à part des autres.

Pour les moins riches, soit la vaste majorité, le choix est plus restreint. Il l’est encore plus quand la maladie grave frappe. Pour ceux-là, les gouverneme­nts ont choisi de les remiser dans des CHSLD ou résidences privées à but lucratif. On y « place » aussi des adultes de moins de 65 ans, handicapés intellectu­ellement ou physiqueme­nt. Tous tombent dans l’oubli.

L’âge avancé n’est pas une tare, mais un joyau précieux et essentiel.

COMPLICES

En leur refusant un financemen­t adéquat, les gouverneme­nts s’y sont même fait les complices volontaire­s de conditions de travail de misère pour leurs préposés et de « milieux de vie » de moindre qualité pour leurs résidents. Des familles sans soutien concret comme proches aidants s’y résignent. Des personnes âgées en perte d’autonomie le font par manque criant de services à domicile.

Il n’y a que deux mots pour décrire ce phénomène : ségrégatio­n et déshumanis­ation. Cette lente désolidari­sation de notre tissu social, la crise actuelle nous la fait éclater en plein visage. Même le projet des Maisons des aînés – malgré qu’il soit nettement mieux pensé et bien plus à échelle humaine que les CHSLD – propose néanmoins un milieu de vie séparé.

Il nous faudra pourtant repenser le tout parce que les « vieux », c’est aussi nous. Ceux qui ne le sont pas encore le seront un jour. Voulons-nous vraiment y arriver séparés les uns des autres dès qu’on franchit un certain âge ? Si l’on est malade et sans fortune personnell­e, voulons-nous vraiment être parqués un jour dans ces « milieux de vie » isolés et fermés ?

Encore jeune, j’ai perdu ma mère avant qu’elle n’atteigne sa soixantain­e. Pas une journée ne passe sans que je me demande comment elle serait à plus de 80 ans. Sa présence, son amour et ses conseils me manquent de plus en plus. L’âge avancé n’est pas une tare, mais un joyau précieux et essentiel.

Leonard Cohen chantait qu’« il y a une fissure en chaque chose, c’est ainsi qu’entre la lumière ». La catastroph­e que nous vivons laissera-t-elle entrer la lumière ? Aînés, jeunes ou personnes handicapée­s, nous poussera-t-elle à réapprendr­e à vivre côte à côte et non plus séparés les uns des autres ?

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