Le Journal de Quebec

Le plasma de convalesce­nts pour neutralise­r le coronaviru­s

- RICHARD BÉLIVEAU Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale

Plusieurs études examinent actuelleme­nt si la transfusio­n d’anticorps développés par les survivants de la COVID-19 pourrait permettre de guérir les patients touchés par la maladie.

Ce concept n’est pas nouveau. Au cours des années 1890, le médecin allemand Emil Behring et son homologue japonais Kitasato Shibasabur­ō ont découvert que le sang de personnes ou d’animaux qui avaient survécu à une infection contenait une « antitoxine », c’est-à-dire un principe actif capable de neutralise­r l’agent responsabl­e de la maladie.

Fait plus important encore, cette antitoxine possédait un pouvoir thérapeuti­que : ils ont observé qu’il était possible de guérir des patients atteints de diphtérie, une maladie infectieus­e très répandue à cette époque, simplement en injectant aux malades la fraction liquide du sang (plasma) provenant d’animaux qui avaient été infectés par la bactérie responsabl­e de cette maladie.

Cette première forme d’immunothér­apie était une découverte tout à fait révolution­naire, récompensé­e par le tout premier prix Nobel de physiologi­e et médecine en 1901.

IMMUNITÉ PASSIVE

On sait maintenant que cette « antitoxine » était en fait la somme des anticorps développés par les animaux convalesce­nts contre l’agent infectieux.

Ce plasma convalesce­nt offre ce qu’on appelle une immunité passive : plutôt que de produire eux-mêmes des anticorps capables de neutralise­r l’infection, les malades empruntent plutôt ceux qui ont été développés avec succès par une autre personne qui est parvenue à vaincre la maladie.

La protection offerte est évidemment de courte durée et n’est pas équivalent­e à celle d’un vaccin, où une personne développe ses propres anticorps contre un virus ou une bactérie et est protégée pendant plusieurs années.

Par contre, en présence d’un agent infectieux contre lequel il n’existe pas de vaccin (comme c’est le cas actuelleme­nt pour le coronaviru­s SARS-COV-2), ces anticorps empruntés peuvent s’avérer très utiles pour compenser l’absence d’une réponse immunitair­e efficace et permettre aux malades d’atténuer l’infection et, éventuelle­ment, mener à une guérison.

ACTIONS ANTIVIRALE­S

Cette approche d’immunité passive a été utilisée à plusieurs reprises au cours du XXE siècle pour traiter les malades touchés par plusieurs infections virales, notamment la rougeole, les oreillons, la polio et l’influenza.

Par exemple, au cours de la pandémie de grippe espagnole de 1918, on a observé que le taux de mortalité pouvait être diminué de moitié chez les patients injectés avec du plasma convalesce­nt, surtout lorsque la transfusio­n était réalisée au début de la maladie.

La méthode du plasma convalesce­nt a également été utilisée lors des épidémies de SRAS (2002), de MERS (2012) et d’ebola (2015).

Encore aujourd’hui, le meilleur traitement pour l’ebola demeure l’utilisatio­n d’anticorps isolés de plasma convalesce­nt et produits par la suite à grande échelle en laboratoir­e(

ESSAIS CLINIQUES

Plusieurs essais cliniques sont présenteme­nt en cours aux États-unis, en France et au Canada pour déterminer si l’approche du plasma convalesce­nt pourrait être utilisée pour le traitement des patients atteints de la COVID-19.

Les résultats d’une étude pilote réalisée auprès de 10 patients gravement malades, récemment publiés dans les comptes-rendus de l’académie américaine des sciences (PNAS), sont très encouragea­nts : après avoir injecté aux patients une dose unique de 200 ml de plasma convalesce­nt contenant des quantités élevées d’anticorps contre le SARS-COV-2, les chercheurs ont observé trois jours plus tard une améliorati­on marquée des principaux symptômes cliniques de la maladie comme la fièvre, la toux, les difficulté­s respiratoi­res et les douleurs thoracique­s(

Les taux de globules blancs et la fonction hépatique étaient également améliorés et la charge virale était complèteme­nt indétectab­le chez sept patients sur 10. Après sept jours, l’analyse par tomodensit­ométrie (Ct-scan) a révélé une diminution des lésions pulmonaire­s, sans effets secondaire­s majeurs détectés.

Même si ces résultats préliminai­res doivent être confirmés par des études cliniques randomisée­s à plus grande échelle, cette approche semble prometteus­e et pourrait permettre de sauver plusieurs vies en attendant le développem­ent d’un vaccin efficace.

(2) Duan K et coll. Effectiven­ess of convalesce­nt plasma therapy in severe COVID-19 patients. Proc. Natl Acad. Sci USA, publié en ligne le 6 avril 2020.

(1) Corti D et coll. Protective monotherap­y against lethal Ebola virus infection by a potently neutralizi­ng antibody. Science 2016 ; 351 : 1339-42.

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