Le Journal de Quebec

CETTE HISTOIRE QUI LE RONGE DEPUIS 25 ANS

L’ex-hockeyeur Mario Roberge raconte comment il a sévèrement été mis au banc du hockey par la direction du Canadien de Montréal

- RÉJEAN TREMBLAY rejean. tremblay@ quebecorme­dia.com

Mario Roberge travaille pour Congebec, une entreprise de réfrigérat­ion qui est implantée à Québec. À peu près 20 $ de l’heure. Mario Roberge a été un gagnant de la dernière Coupe Stanley du Canadien en 1993. C’est sûr qu’il est heureux quand il rentre à la maison, même si les pièces sont vides quand il revient du boulot.

Après une thérapie exigeante il y a deux ou trois ans pour se débarrasse­r des amphétamin­es, les speeds, qui étaient en train de le tuer, il a repris le contrôle de sa vie. Et ses longues conversati­ons avec sa nouvelle amie de coeur et ses enfants David et Carolane, 30 et 26 ans, suffisent à nourrir son âme.

Autrement dit, Mario va bien… même si le hockey lui manque atrocement.

Pourtant, Mario Roberge avait le profil parfait pour être coach ou assistant coach dans le hockey. Il pouvait décortique­r un match mieux qu’un savant docteur en hockey. Tant sur le plan technique que sur le plan mental.

L’année qui a suivi la conquête de la Coupe a été une année bien ordinaire pour Roberge qui joua une trentaine de parties avec le gros club.

L’ANNÉE DU LOCK-OUT

En septembre 1994, la Ligue nationale décréta un lock-out qui ne fut réglé qu’au début de janvier 1995. Mario disputa neuf matchs avec le gros club avant d’être envoyé comme joueur assistant coach avec les Canadiens de Fredericto­n.

C’est là que toutes les histoires s’enchaînère­nt pour le sortir du hockey. Comme dans un mauvais film: « J’étais assistant coach avec Gaston Gingras. J’aimais ça et j’adorais Paulin Bordeleau, le coach. Mais à un moment donné, le club s’est mis à perdre. Six ou sept parties. C’était évident que les gars ne voulaient plus jouer pour le coach. J’ai dit à Paulin que j’irais souper avec les leaders, qu’on viderait la question. Il m’a donné 250 $ pour le souper. Des bons joueurs comme Craig Ferguson, Craig Rivet, Turner Stevenson, Craig Conroy et trois ou quatre autres. Les gars savaient que j’étais assistant coach, mais ils me faisaient confiance. L’abcès a été vite crevé. Les gars ne voulaient plus jouer pour Paulin. Il était trop bête avec eux », de raconter Roberge.

Le lendemain, Mario Roberge se reposait dans la maison de Jacques Parent, le physio de l’équipe, quand le téléphone a sonné : « C’était Patrick Roy. Il appelait de la Floride où le Canadien affrontait les Panthers. Casseau pis moi, on était pas mal proches. Mais honnêtemen­t, ce n’était pas un “appeleux”. Là, il me lâche : “Salut mon Méo. Dis-moi, que c’est qui se passe avec notre club ferme ? Vous perdez tout le temps.” Moi, j’y raconte ce que les gars ont dit la veille. Casseau me lâche : “Je vais en parler à Jacques [Demers] et à Serge [Savard]. Ils vont voir à ça.” Moi, j’y dis, fais pas ça Patrick, tu vas me mettre dans le trouble. Il répond : “T’inquiète pas, j’ai mon contrat de 16 millions, pis avec Jacques et Serge, on va diriger tout ça” ».

LA RENCONTRE AVEC ANDRÉ BOUDRIAS

Qu’est-ce qui s’est passé le soir ? Roberge se doute bien que Serge Savard a dû lâcher un coup de fil à André Boudrias, son homme de confiance à Fredericto­n : « Quand je suis entré dans le vestiaire, André Boudrias m’attendait. Il m’a entraîné dans la remise aux patins et là, il m’a donné une maudite go. En me répétant qu’en tant qu’assistant, je devais loyauté à la direction, à lui le directeur général et au coach. Que ce qui se passait dans l’équipe devait rester dans l’équipe. À la fin, il m’a dit que j’allais arranger le gâchis.

« J’étais pas mal sonné. Il était évident que Serge Savard avait appelé. Selon les recommanda­tions de Boudrias, un homme de caractère, on s’est réuni les 12 vétérans que j’ai choisis moi-même dans le vestiaire. On s’est rendus dans une salle d’entraîne

ment. Là, Paulin Bordeleau est entré dans la salle. Les gars étaient pompés, mais ils ne parlaient pas. Bordeleau nous a regardés et a dit : “Quand vous serez prêts, venez me chercher” et il est reparti dans son bureau. Les gars sacraient. Moi, je suis parti quasiment en courant et je l’ai rattrapé. Il est revenu. Il a regardé Craig Ferguson et a dit : “Ben, qui parle en premier ? Vous autres ou moi ?” Ferguson a dit : “Toi, commence”. Pis là, Paulin nous a dit que nous avions raison de nous plaindre, qu’il avait les nerfs à fleur de peau et que même sa femme ne le reconnaiss­ait plus. Il a admis ses torts. Nous autres, on pouvait plus rien dire. On a décidé de l’aider, de jouer pour lui », raconte Roberge.

Ils ont tellement bien joué qu’ils ont aligné les victoires et se sont rendus en finale de la Coupe Calder contre Albany.

AU TOUR DE PATRICK ROY

Quelques mois plus tard, Roberge s’est retrouvé au camp d’entraîneme­nt du gros club. Et il se rappelle les mauvais feelings qu’il ressentait. Même de Ronald Corey qui était loin d’être satisfait de ce qui se passait. Incluant Patrick Roy. D’ailleurs, depuis deux ans déjà, Ronald Corey poussait Serge Savard à échanger Patrick

Roy. Même que Savard, sans enthousias­me, l’avait offert aux Nordiques pour les droits sur Eric Lindros.

D’ailleurs, tout juste avant son congédieme­nt, Serge Savard était sur le point d’échanger Patrick Roy à l’avalanche du Colorado pour Stéphane Fiset et Owen Nolan. C’est lui-même qui l’a raconté.

« Et puis, à un moment donné, on m’a dit que M. Corey avait reproché à Serge Savard de ne pas assez suivre ses dossiers. Que c’avait pris un joueur assistant comme Mario Roberge pour qu’il contacte André Boudrias et règle les problèmes à Fredericto­n. Pis moi, ce que j’entendais chuchoter, c’est que j’avais bypassé le coach et le directeur général à Fredericto­n. Pis dans le hockey, c’est un péché mortel. Ça ne pardonne pas », de raconter Roberge.

Quatre matchs plus tard, Ronald Corey congédiait Serge Savard,

André Boudrias, Jacques Demers et Carol Vadnais. Le Canadien était détruit et n’allait plus jamais atteindre la finale de la Coupe Stanley. Et était destiné à devenir une équipe moyenne et souvent médiocre.

LE 2 DÉCEMBRE : OUT CASSEAU

Après le départ de Savard et la nomination de Réjean Houle, Mario

Roberge s’est retrouvé à Fredericto­n. Il venait de perdre les mentors qu’il espérait suivre dans le hockey. Puis, rien n’a pu empêcher Patrick Roy de se faire humilier par Mario Tremblay qui l’a laissé sur la patinoire pour neuf buts des Red Wings.

Vous vous rappelez, sur le banc, Casseau n’a pas parlé à Mario Tremblay. Il est allé voir celui qui voulait son départ, le président, Ronald Corey. Il lui a dit : « J’ai joué mon dernier match pour le Canadien ».

Personne, à part Ronald Corey, n’a entendu ce que Roy a dit dans le bruit du Forum. C’aurait été facile, dans la nuit, de faire venir Robert Sauvé et Réjean Houle avec du café et de régler la situation avant même le lendemain matin. Juste à dire qu’il n’avait pas entendu la phrase de Casseau et forcer les deux hommes à se donner la main pour le bien de l’équipe.

Au contraire, tout a été fait pour sortir Patrick Roy comme un lépreux. C’est Daniel Lamarre, président de National, qui a dirigé les grandes manoeuvres.

Ronald Corey était content, le vrai grand ménage était complété. Il ne restait plus aucune trace du trio Savard-demers-roy.

25 ANS DE TORTURE

L’histoire n’arrête pas là. Mario

Roberge ne sait pas quels dommages collatérau­x ont résulté du coup de téléphone de Patrick Roy à Fredericto­n. Il n’a pas de preuve. Juste une cascade d’événements, d’incidents.

Ce qu’il sait, c’est que par la suite, il fut convoqué par Réjean Houle qui lui dit : « Mario, le 32 pis le 33, vous étiez pas mal proches ? [Roberge portait le 32] “Ouais…” C’est dommage Mario, mais on n’a plus besoin de toi dans l’organisati­on du Canadien. Tu t’en vas avec les Rafales de Québec ».

Roberge raconte qu’il a pleuré tout le long de la 20 jusqu’à Québec. Il a joué avec l’équipe de la Beauce, quelques matchs à Saint-hyacinthe, d’autres avec les Aces à Québec, se battant au besoin et jouant à ce jeu fabuleux qu’est le hockey.

« Mais je n’ai plus reçu aucune offre pour revenir dans le hockey. Ni comme assistant, ni comme dépisteur. Rien. Comme si je n’existais pas. Comme si j’étais encore étiqueté comme une taupe qui a passé par-dessus la tête de ses patrons. J’aurais tant aimé rester dans le hockey. Ça fait 25 ans que ça me torture, que ça me brûle. Comme si j’étais brûlé au fer rouge. C’est mon gars qui m’a convaincu de raconter mon histoire. Pour qu’au moins, on sache comment ça s’est passé. Pis ce que j’ai vécu. Juste le raconter, vous pouvez pas avoir idée comment ça me libère. »

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PHOTOS COURTOISIE ET D’ARCHIVES 1. Mario Roberge oeuvre aujourd’hui au sein d’une entreprise de réfrigérat­ion de Québec. 2. Le robuste attaquant discute ici avec son entraîneur de l’époque, Jacques Demers, en 1992. 3. Après son renvoi par la direction du CH en 1995, Roberge a atterri chez les Rafales de Québec. 3
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