Une machine digne des Invasions barbares
Hier, Jean-philippe, un ami Facebook, m’a envoyé une vidéo.
« Regarde ça, m’a-t-il dit. Ça fitte parfaitement avec le dossier que Le Journal a publié sur la lourdeur de la bureaucratie dans le système de santé. »
Il s’agissait d’une scène tirée du film Les invasions barbares de Denys Arcand.
LA MAUDITE MACHINE
Vous vous rappelez sûrement cette scène qui mérite de figurer dans une éventuelle anthologie du cinéma québécois.
Sébastien (Stéphane Rousseau) va rencontrer la directrice de l’hôpital où son père cancéreux (Rémy Girard) croupit, afin de lui demander s’il ne pourrait pas le changer de chambre.
« Mon père est hospitalisé au troisième étage, mais j’aimerais le déménager à l’étage inférieur, celui qui est vide, puis lui faire aménager quelque chose de confortable. »
La directrice de l’hôpital (Pauline Joncas-pelletier, incarnée par une Lise Roy particulièrement suave) le regarde, attendrie, puis lui répond :
« C’est formidable ! C’est une démarche qui s’inscrit tout à fait dans le contexte de nos programmes de sensibilisation des intervenants familiaux, mais malheureusement, les mises en disponibilité de nos infrastructures ont été ciblées en fonction des directives du ministère dans le cadre du virage ambulatoire, alors c’est absolument impossible de prioriser des éléments de solution au niveau du bénéficiaire individuel…
« Il faut que vous compreniez que nos allocations de ressources sont axées sur un mode de dispensation des soins géré en fonction des paramètres de dépistage identifiés par la table de concertation de la région administrative 0-2… »
Plus tard, Sébastien va voir le représentant du syndicat (Jean-marc
Parent, truculent) pour lui demander s’il pourrait peindre la nouvelle chambre de son père.
« Heille, il y a rien qui va se faire ici sans le syndicat, OK ? Ça va commencer avec le syndicat pis ça va finir avec le syndicat ! » lui répond le représentant sur un ton menaçant.
LE MOLOCH
C’est la bureaucratie dans tout ce qu’elle a de plus ignoble.
En une scène de trois minutes, Denys Arcand – un penseur humaniste qui est passé par les cours classiques – nous montre à quel point la machine bureaucratique est froide, inhumaine.
Dans ces deux conversations, il n’est jamais question du patient mourant. Que des règles à suivre.
C’est exactement ce que démontrait de façon fort éloquente le dossier du Journal, hier.
À quel point la machine est déconnectée des personnes qu’elle est censée servir.
C’est un Moloch.
Vous connaissez Moloch ? C’était une divinité à tête de taureau qui exigeait régulièrement des sacrifices d’enfants.
On utilise aussi le terme « Moloch » pour désigner un régime cruel, barbare, qui broie sans pitié ses citoyens.
Arcand avait montré à quel point nos bureaucraties sont inhumaines...
LES TÉNÈBRES
Dans L’âge des ténèbres, la troisième partie de sa magistrale trilogie sur la lente et douloureuse agonie de l’idéal humaniste, Arcand se montrait encore plus impitoyable envers la bureaucratie.
Cette fois, la Machine était représentée par le Stade olympique, un monstre de béton qui écrase les citoyens.
Vous vous rappelez ?
Tous les citoyens qui ont une demande à faire à l’état doivent faire la file devant le stade, où l’on a parqué tous les organismes gouvernementaux et où se morfondent des bureaucrates fatigués.
C’est gris. Terne. Déprimant. Glacial.
Totalement dénué de la moindre parcelle d’humanité.
Comme nos bureaucraties.