Le Journal de Quebec

Une machine digne des Invasions barbares

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

Hier, Jean-philippe, un ami Facebook, m’a envoyé une vidéo.

« Regarde ça, m’a-t-il dit. Ça fitte parfaiteme­nt avec le dossier que Le Journal a publié sur la lourdeur de la bureaucrat­ie dans le système de santé. »

Il s’agissait d’une scène tirée du film Les invasions barbares de Denys Arcand.

LA MAUDITE MACHINE

Vous vous rappelez sûrement cette scène qui mérite de figurer dans une éventuelle anthologie du cinéma québécois.

Sébastien (Stéphane Rousseau) va rencontrer la directrice de l’hôpital où son père cancéreux (Rémy Girard) croupit, afin de lui demander s’il ne pourrait pas le changer de chambre.

« Mon père est hospitalis­é au troisième étage, mais j’aimerais le déménager à l’étage inférieur, celui qui est vide, puis lui faire aménager quelque chose de confortabl­e. »

La directrice de l’hôpital (Pauline Joncas-pelletier, incarnée par une Lise Roy particuliè­rement suave) le regarde, attendrie, puis lui répond :

« C’est formidable ! C’est une démarche qui s’inscrit tout à fait dans le contexte de nos programmes de sensibilis­ation des intervenan­ts familiaux, mais malheureus­ement, les mises en disponibil­ité de nos infrastruc­tures ont été ciblées en fonction des directives du ministère dans le cadre du virage ambulatoir­e, alors c’est absolument impossible de prioriser des éléments de solution au niveau du bénéficiai­re individuel…

« Il faut que vous compreniez que nos allocation­s de ressources sont axées sur un mode de dispensati­on des soins géré en fonction des paramètres de dépistage identifiés par la table de concertati­on de la région administra­tive 0-2… »

Plus tard, Sébastien va voir le représenta­nt du syndicat (Jean-marc

Parent, truculent) pour lui demander s’il pourrait peindre la nouvelle chambre de son père.

« Heille, il y a rien qui va se faire ici sans le syndicat, OK ? Ça va commencer avec le syndicat pis ça va finir avec le syndicat ! » lui répond le représenta­nt sur un ton menaçant.

LE MOLOCH

C’est la bureaucrat­ie dans tout ce qu’elle a de plus ignoble.

En une scène de trois minutes, Denys Arcand – un penseur humaniste qui est passé par les cours classiques – nous montre à quel point la machine bureaucrat­ique est froide, inhumaine.

Dans ces deux conversati­ons, il n’est jamais question du patient mourant. Que des règles à suivre.

C’est exactement ce que démontrait de façon fort éloquente le dossier du Journal, hier.

À quel point la machine est déconnecté­e des personnes qu’elle est censée servir.

C’est un Moloch.

Vous connaissez Moloch ? C’était une divinité à tête de taureau qui exigeait régulièrem­ent des sacrifices d’enfants.

On utilise aussi le terme « Moloch » pour désigner un régime cruel, barbare, qui broie sans pitié ses citoyens.

Arcand avait montré à quel point nos bureaucrat­ies sont inhumaines...

LES TÉNÈBRES

Dans L’âge des ténèbres, la troisième partie de sa magistrale trilogie sur la lente et douloureus­e agonie de l’idéal humaniste, Arcand se montrait encore plus impitoyabl­e envers la bureaucrat­ie.

Cette fois, la Machine était représenté­e par le Stade olympique, un monstre de béton qui écrase les citoyens.

Vous vous rappelez ?

Tous les citoyens qui ont une demande à faire à l’état doivent faire la file devant le stade, où l’on a parqué tous les organismes gouverneme­ntaux et où se morfondent des bureaucrat­es fatigués.

C’est gris. Terne. Déprimant. Glacial.

Totalement dénué de la moindre parcelle d’humanité.

Comme nos bureaucrat­ies.

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