DES VISAGES DE LA CRISE
Derrière toutes les statistiques, il y a surtout des gens dont la vie a été écourtée par la COVID-19. Déjà plus de 1400 familles québécoises sont en deuil, dont 569 se sont ajoutées la semaine dernière seulement. Nos journalistes ont récolté l’histoire de certaines d’entre elles afin de mettre un visage sur les trop nombreuses victimes de cette pandémie sans précédent. Marcel Auger, 95 ans, Québec
Un des derniers héros québécois de la Deuxième Guerre mondiale, Marcel Auger a malheureusement perdu son combat contre ce sournois virus la semaine dernière.
« Il a survécu à bien des choses, mais la COVID-19 a eu raison de lui », déplore son fils, Alain Auger.
La perte de M. Auger est d’autant plus triste puisqu’il était, à 95 ans, l’un des rares Québécois toujours en vie à avoir vécu le débarquement de Normandie.
Depuis, celui qui s’occupait du ravitaillement de l’aviation se sentait investi d’un devoir de mémoire et n’a jamais hésité à raconter ce qu’il a vécu pendant la guerre de 1939-1945.
UN LIVRE SUR SA PEUR
L’histoire héroïque de Marcel Auger a même fait l’objet d’un livre intitulé La peur au ventre. L’auteure, Julie Hubert, qui a fait des entrevues pendant cinq ans avec le soldat avant d’écrire son bouquin en 2006, s’est dite chamboulée par le décès de ce grand homme.
« Ça m’a crevé le coeur », illustre la femme qui est restée attachée à lui.
Surnommé « Mickey Rooney » pendant la guerre, parce qu’il était petit et blond comme l’acteur de l’époque, Marcel Auger ne se considérait pourtant pas comme un héros. « C’était celui qui avait peur d’une guerre trop grande pour lui », raconte l’écrivaine.
Le vétéran a pourtant vécu les grandes étapes de la libération de l’europe.
S’il n’a pas été dans la première vague de soldats à fouler la plage Juno le 6 juin 1944, M. Auger a été au coeur de l’opération quatre jours plus tard, lui qui s’est occupé des avions qui atterrissaient sur les pistes de fortune construites sur les plages françaises.
Le vétéran s’est aussi rendu au camp de concentration allemand de BergenBelsen alors à peine libéré. « Il y avait encore des prisonniers », note Mme Hubert.
Marcel Auger est décédé le 18 avril à la Maison Paul-triquet, une résidence réservée aux vétérans, maintenant prise avec une éclosion de coronavirus.
Son fils Alain regrette que son père, qui avait encore une bonne forme physique, mais qui souffrait de légère démence ne se soit pas rendu à l’âge de 100 ans.
RÊVE D’ÊTRE CENTENAIRE
« Un de ses rêves était de se rendre à 100 ans, il le disait. Et il se serait probablement rendu », croit-il.
Avant le décès de son père, Alain Auger a pu le visiter une dernière fois en portant l’équipement de sécurité.
« On a de la misère à respirer avec cet imperméable jaune, il fait très chaud », raconte-t-il.
Celui qui a porté l’équipement pendant 30 minutes avait donc une pensée pour les employés qui travaillent plus de 12 heures avec ces protections de plastique.
« Comment faites-vous pour travailler toute la journée avec ça ? » leur a-t-il demandé en louant leur dévouement.
« On s’habitue », ont simplement répondu ces héros des temps modernes.