Le Journal de Quebec

LA BOUGIE D’ALLUMAGE DES « YVETTE »

L’éditoriali­ste Lise Bissonnett­e revient sur son texte de mars 1980 à l’origine d’un mouvement de femmes pour le NON

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Rarement un texte aura, dans une campagne politique au Québec, été aussi déterminan­t.

Je parle de l’éditorial du Devoir de Lise Bissonnett­e du 11 mars 1980, qui engendra ni plus ni moins le phénomène des « Yvette », ce qui galvanisa le camp du NON.

D’une virulence rare, il s’intitulait Dire non à ce courage-là et dénonçait une envolée rhétorique de la ministre d’état péquiste de la Condition féminine Lise Payette, ancienne animatrice vedette de télévision.

Au bout du fil, Lise Bissonnett­e se souvient très bien du jour du mois de mars banal où elle a écrit son papier.

« J’avais rendez-vous chez le dentiste en après-midi, j’étais pressée. » Elle se cherchait désespérém­ent un sujet de texte destiné au bas de la page éditoriale.

Rapidement, lui revient à l’esprit l’espèce de répugnance que lui avait inspirée, le matin même, une citation attribuée à Lise Payette, dans un reportage portant sur un rassemblem­ent de femmes pour le OUI à Montréal.

« La ministre disait en somme que les femmes qui voteraient NON étaient soumises. » Soumises comme cette « Yvette » qu’on trouvait dans un manuel scolaire dont elle dénonçait sexistes.

En plus, Mme Payette avait confié aux 750 femmes présentes au rassemblem­ent qu’elle « haïssait » le chef libéral Claude Ryan. Celui-ci, s’il devenait premier ministre, voudrait des « Yvette plein le Québec… il est marié à une Yvette ».

EN FURIE

les stéréotype­s

Voilà ce qui mit Bissonnett­e en furie. D’une part, c’était de « lier une femme à la personnali­té de son mari comme cela ne se fait plus depuis les balbutieme­nts du féminisme », écrivit-elle dans son édito.

Ensuite, il fallait connaître l’épouse de Claude Ryan, qui se prénommait Madeleine (et non Yvette, comme certains en sont venus à croire), pour savoir qu’elle n’était pas du tout du type mère au foyer docile, subordonné­e à son mari.

Or, Lise Bissonnett­e la connaissai­t bien puisque Claude Ryan avait été son patron de 1974 à 1978. « Avant de s’en prendre à Madeleine Ryan à travers son mari, écrit Bissonnett­e, Mme Payette aurait pu se renseigner un brin. Juste un peu. »

Or, Mme Ryan avait été membre du Conseil supérieur de l’éducation entre autres et active dans toutes sortes de mouvement sociaux.

BOULE DE NEIGE

« J’ai terminé mon texte, je suis allée chez le dentiste. Après, ce qui est arrivé m’a complèteme­nt dépassée », s’étonne encore Lise Bissonnett­e.

Le texte a un effet retentissa­nt. La bourde de la ministre vedette et ancienne animatrice de télé est discutée, dénoncée.

Des militantes fédéralist­es, indignées, écrivent des centaines de lettres pour protester, invitent les femmes à se rassembler pour dénoncer ces propos.

L’organisati­on libérale est toutefois réticente à surexploit­er une bourde. Mais les femmes libérales insistent et décident de tabler sur l’événement.

Le 30 mars, elles organisent un « Brunch des Yvette » au Château Frontenac à Québec. Puis, le 7 avril, louent carrément le Forum de Montréal et le remplissen­t de quelque 15 000 « Yvette » !

Sur la scène, l’animatrice Michelle Tisseyre donne la parole à un aréopage de femmes autour de Madeleine Ryan : les ministres fédérales Monique Bégin et Jeanne Sauvé, les députées du PLQ Thérèse Lavoie-Roux et Solange Chaput-rolland, ainsi que la célèbre suffragett­e, Thérèse Casgrain.

Lise Bissonnett­e s’était glissée dans la foule. Quelques heures plus tôt, elle refusait de s’y rendre.

« J’étais un peu traumatisé­e quand même. » Son compagnon avait dû la convaincre. Elle se souvient qu’il y avait « de tout » dans cette soirée, notamment un « ressac » contre un certain féminisme intransige­ant qui regardait de haut les femmes aux rôles plus traditionn­els.

« Certains péquistes m’en ont voulu à mort », se souvient Lise Bissonnett­e, ellemême souveraini­ste.

Si l’affaire des Yvette a donné un souffle à la campagne du NON qui avait du mal à décoller, elle ne croit cependant pas que c’est ce qui lui a permis de remporter la victoire par une aussi grande marge.

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LISE BISSONNETT­E Éditoriali­ste au Devoir en 1980

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