Le Journal de Quebec

LA NUIT DE LA LONGUE QUESTION

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Un des aspects les plus surprenant­s du référendum de 1980 est sans aucun doute la taille de la question posée aux Québécois.

Quelque 115 mots. Une enfilade de concepts juridiques et de la science politique : définition de la souveraine­té; promesse de tenir un second référendum. Trois points-virgules. On peut dire qu’elle était complexe.

« Elle était surtout complexe parce qu’on a perdu », tempère Daniel Latouche à l’autre bout du fil.

Professeur de science politique à Mcgill, il acceptera en juin 1978 l’invitation de René Lévesque à intégrer son cabinet afin de préparer le référendum, en général, et de trouver une question gagnante, en particulie­r.

« Je suis identifié à cette question-là », admet-il à l’autre bout du fil, un brin dépité.

SOUVERAINE­TÉ-ASSOCIATIO­N

Nationalis­te, Latouche n’est toutefois pas un péquiste pur jus. Il s’avérera un allié de taille du ministre Claude Morin. Ce dernier était reconnu comme un modéré, père de l’« étapisme », une stratégie patiente, graduelle, passant par un, puis deux référendum­s, pour en arriver non pas à l’indépendan­ce, mais à la souveraine­té-associatio­n.

À sa première rencontre avec Morin, d’ailleurs, Latouche raconte que le ministre lui a montré confidenti­ellement la question qui devrait selon lui être posée : un mandat pour négocier un amendement constituti­onnel qui aurait pratiqueme­nt vidé le gouverneme­nt fédéral de ses pouvoirs.

« On blaguait en disant: on pourrait peut-être laisser les timbrespos­te à Ottawa ? », se rappelle Latouche avec amusement.

Si la souveraine­té-associatio­n, ce n’était pas l’indépendan­ce pure, il reste que ce n’était pas non plus, du moins au départ, un simple réaménagem­ent des pouvoirs dans le Dominion.

Et pour plusieurs au gouverneme­nt et au caucus péquiste, la souveraine­té-associatio­n, c’est bien mou. On rêvait d’un pays souverain.

PARIZEAU RÉSISTE

Le ministre des Finances Jacques Parizeau, évidemment, était le principal représenta­nt de ceux-là. Ils militaient pour une question claire, portant sur la souveraine­té.

Mais Parizeau sera tenu des mois dans l’ignorance quant aux réflexions sur la question.

Jusqu’à la fameuse nuit du 19 au 20 décembre 1979 où, comme le raconte Latouche, les membres du conseil des ministres « ont entrepris de rédiger une question à 23 personnes ».

Morin était arrivé avec quelques lignes, un brouillon. « La question courte, “Êtes-vous pour ou contre la souveraine­té-associatio­n ?”, n’a jamais été sur la table », soutient Latouche.

Après des heures de discussion, ce fut « la dictée du premier ministre » (expression du journalist­e Pierre Godin). René Lévesque propose sa version qui en plusieurs points s’apparente à celle qui sera finalement posée.

« MAL FOUTU »

Jacques Parizeau est déçu.

« Le libellé me semble mal foutu, donnant trop de prise à l’adversaire. Je n’aime pas la façon dont c’est rédigé », raconte-t-il à son biographe Pierre Duchesne, en mai 2000.

Il propose un ajout : la mention de l’utilisatio­n de la même monnaie.

Par ailleurs, déjà réfractair­e à l’égard du référendum, l’idée d’en évoquer un deuxième, dans le libellé, l’irrite profondéme­nt.

Il négociera énergiquem­ent et obtiendra un compromis: on parlera de deuxième consultati­on s’il y a changement de régime politique.

Un consensus semble être atteint. Bernard Landry détend alors l’atmosphère en lançant: « On devrait peut-être mettre SVP à la fin ? »

Parizeau parti, « tout le monde a son manteau sur le dos » quand le ministre Denis Vaugeois lève la main et rappelle que la loi exige une question en une phrase. D’où les points-virgules.

En pleine nuit, les bonzes du ministère de la Justice révisent ensuite le libellé. Et apportent des modificati­ons pour éviter toute contestati­on.

Le compromis Parizeau au sujet de la deuxième consultati­on est alors évacué.

« Monsieur » en prendra connaissan­ce en chambre, lorsque René Lévesque lui-même rendra publique la fameuse question. Il en restera meurtri.

« VOTER SUR LE FOND »

Quarante ans plus tard, Daniel Latouche estime qu’avec une question beaucoup plus « dure », le OUI aurait sans doute fait quelque chose comme 3 % de moins.

« Les gens, quand ils votent, ils ne le font pas sur la qualité littéraire de la question. Ils votent pour ce qu’ils pensent être le fond de l’affaire. »

 ?? PHOTOS D’ARCHIVES ?? Sur la photo du haut, Claude Morin ( à gauche) en compagnie de Claude Charron ( au centre) et de René Lévesque ( à droite), lors d’une annonce gouverneme­ntale. Ci-contre, Daniel Latouche, politologu­e, conseilla René Lévesque. On le voit ici en 1992, dans le documentai­re Le mouton noir.
PHOTOS D’ARCHIVES Sur la photo du haut, Claude Morin ( à gauche) en compagnie de Claude Charron ( au centre) et de René Lévesque ( à droite), lors d’une annonce gouverneme­ntale. Ci-contre, Daniel Latouche, politologu­e, conseilla René Lévesque. On le voit ici en 1992, dans le documentai­re Le mouton noir.
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