Le Journal de Quebec

FIN TRAGIQUE D’UN CONTE DE FÉES

Il y a 50 ans, un accident de la route coûtait la vie au hockeyeur prometteur Michel Brière

- Alain Bergeron l Abergeronj­dq

Dans l’histoire étonnante de l’abitibi et de ses dizaines de joueurs promus dans la Ligue nationale de hockey, il restera toujours la cicatrice laissée par Michel Brière dans la mémoire de cette région. Après une seule saison avec les Penguins de Pittsburgh, un accident de voiture tragique, en 1970, a créé ce conte inachevé d’un joueur rempli de promesses, de sa fiancée et de leur fils qui n’a jamais connu son père.

Il y a 50 ans, le 6 juin 1970, Michèle Beaudoin aurait marché dans l’allée centrale de l’église de Malartic pour y épouser son amoureux âgé de seulement 20 ans, meilleur marqueur des séries pour les Penguins avec huit points en 10 matchs. Leur petit Martin, né le 6 mai 1969, aurait sans doute participé à la cérémonie dans les bras de ses parents.

Comme ce sera le cas en 2020, ce 6 juin 1970 était aussi l’un de ces samedis que le Québec religieux de l’époque réservait pour marier les enfants de ses villes et villages.

UN APPEL DÉCHIRANT

Mais ce mariage a été annulé. Par conséquent, oubliez aussi la noce avec des centaines d’invités prévue au motel L’escale, de Val-d’or. Le 15 mai précédent, Michel Brière revenait de Rivière-héva au volant de sa rutilante Mercury Cougar quand il a raté une courbe près de Malartic. L’auto fit plusieurs tonneaux.

Ses amis Yvon Toupin et Raynald Bilodeau qui l’accompagna­ient, malgré d’importante­s blessures, survivront sans séquelles. Pas le jeune Brière, victime d’une fracture du crâne qui le laissera inconscien­t du monde extérieur durant les 11 mois suivants.

« J’attendais Michel depuis une heure, on devait sortir ensemble quelque part. C’est papa qui a répondu au téléphone. Il s’est tourné vers moi et j’ai su à ce moment qu’il était arrivé quelque chose. Mon père m’a dit : “Michel a eu un accident et c’est très grave” », évoque aujourd’hui Michèle Beaudoin, depuis son domicile de Rouyn-noranda.

« Je me rappelle de la petite robe que je portais. Ensuite, je ne me souviens pas de ce que j’ai fait à partir du moment où je me suis assise », dit-elle de ce vendredi noir.

11 MOIS D’ENFER

Transféré à l’hôpital Notre-dame de Montréal, où il a vécu durant 10 mois sans jamais reprendre réellement connaissan­ce malgré diverses opérations au cerveau, Brière a ensuite séjourné un mois à l’hôpital Marie-clarac lorsque les spécialist­es qualifière­nt son cas d’irréversib­le. Il est mort le 13 avril 1971 d’une pneumonie.

« Vers la fin, je n’étais plus capable de le voir. C’était devenu trop difficile pour moi. Il était rendu tellement petit. Ils l’assoyaient sur une chaise et il était tellement maigre… », raconte Michèle, qui l’a visité chaque jour durant les trois premiers mois d’hospitalis­ation.

HEUREUSEME­NT, IL Y AVAIT MARTIN

La vie arrachée trop tôt à ce brillant joueur de centre a obligé Michèle Beaudoin à apprivoise­r un nouvel avenir. Six mois après l’accident, elle avait déjà trouvé un emploi à Rouyn. Avec un petit homme d’à peine 18 mois sur qui veiller.

« Ce qui m’a réellement aidée, c’était d’avoir Martin. Mon fils m’a permis d’aller un peu mieux dans cette aventure, d’être un peu plus résiliente », avoue-t-elle avec tendresse.

Une riche relation s’est alors construite entre un enfant orphelin et sa maman. Durant son enfance et son adolescenc­e, « on a très peu parlé de ça », souligne Martin, sans trop savoir comment définir ce sentiment qui l’a accompagné durant sa vie sans son père.

« C’est certaineme­nt de la tristesse. C’est sûr que j’aurais aimé le connaître et j’aurais aimé avoir un père, mais en même temps, je ne me plains pas. J’ai une super belle vie, je réussis bien, j’ai une belle famille. J’essaie de vivre avec mes trois garçons ce que je n’ai pas vécu avec mon père. Je suis chanceux, j’ai trois gars qui ont joué au hockey. J’ai été choyé par la vie malgré cet événement tragique. C’est malheureux d’avoir perdu mon père, mais j’aime mieux voir le positif », affirme cet architecte, associé dans un cabinet à Montréal.

LES CAUCHEMARS DISPARUS

Michel Brière avait connu une saison recrue de 44 points en 76 matchs, dont 12 buts, avec Jean Pronovost comme ailier droit. Il avait signé une entente d’une valeur de 13 000 $ pour cette première année et forcé le directeur général Jack Riley à majorer sa prime d’engagement de 4000 $ à 5000 $, avec comme argument « que je vais jouer à Pittsburgh pour les 20 prochaines années ».

Le destin nous prive de connaître la carrière qui l’attendait. Aurait-il accueilli la recrue Mario Lemieux à ses débuts, 14 ans plus tard ?

Bien plus qu’au hockey, quelle vie aurait-il donnée à la famille qu’il venait à peine de lancer ?

« Je vais vous dire franchemen­t, ça fait 50 ans, et je pense que ça fait moins de 10 ans que je ne rêve plus à lui, que je n’ai pas de cauchemar du genre “ce n’est pas vrai qu’il est mort”, “ils l’ont caché quelque part” et toutes sortes d’autres raisons », affirme Michèle.

« Ma vie est correcte, je vais bien, mais il y a toujours quelque chose qui reste. Martin est le fils de Michel et c’est sûr que chaque année, il y a des retours sur sa vie, sur sa mort. Tu restes toujours là-dedans un peu, mais je vais très bien. Je peux dire que je n’ai plus de peine… »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada