Le Journal de Quebec

Préposée en CHSLD, un travail difficile

Pour pourvoir les 10 000 postes annoncés par le premier ministre, il faudra améliorer les conditions de travail

- DELPHINE BERGERON

Ainsi donc, le premier ministre François Legault veut trouver 10 000 volontaire­s pour devenir préposés aux bénéficiai­res ? Moi qui travaille temporaire­ment comme préposée dans un CHSLD pendant la pandémie, je peux vous dire une chose : c’est tout sauf facile.

J’ai chaud. Ma peau est dégueulass­e. Sous l’équipement de protection individuel­le, je suis inconforta­ble. Je sue, des boutons apparaisse­nt où je n’en ai jamais eu. Il y a deux périodes de travail plus intensives pendant mon quart de soir : le souper puis le coucher.

Après chaque « rush », je dois prendre un moment de pause pour reprendre mon souffle et me rafraîchir. Je prends tranquille­ment des habitudes, comme la confection de mon « COVID cocktail », un mélange de glace et de jus de canneberge avec lequel je m’hydrate à chaque pause.

Je dois laver mes cheveux chaque jour en rentrant chez moi. Je me change dans mon entrée, laisse mes effets sur place et vais directemen­t dans la douche.

Le coronaviru­s ne survit que quelques heures sur les vêtements ; je pourrai ramasser la pile de linge le lendemain.

La fatigue mentale et physique s’installe, cachée par l’adrénaline.

Je vis une légère descente dépressive. Je bois de l’alcool tous les soirs.

Les bouteilles de vin blanc se succèdent. Je peux heureuseme­nt compter sur le soutien de mes amis pour ventiler, et j’arrive à contrôler ma consommati­on.

DU BEAU MONDE

À part mes consoeurs qui viennent du même établissem­ent que moi pour prêter main-forte, les employés du CHSLD proviennen­t majoritair­ement des minorités visibles.

Ça me fait bizarre d’écrire « minorité visible », parce qu’en tant que Montréalai­se, j’ai grandi dans la multiethni­cité de la métropole.

Ils sont Afro-américains, Africains, Caribéens, Latinos, Européens, Slaves, Indiens, Asiatiques... parsemés de Caucasiens comme moi, de culture francophon­e ou anglophone.

RENFORTS

À cette belle palette canadienne s’ajoutent les volontaire­s provenant de différents corps de métier.

Par exemple, aujourd’hui, une psychologu­e et une psychiatre se sont greffées à l’équipe. Un médecin d’un autre établissem­ent donnait aussi de son temps sur l’étage.

Ces profession­nels arrivent avec leur éthique de psy et de doc. J’en fais partie, débarquée là avec mon jugement éthique d’éducatrice spécialisé­e.

Nous devons apprendre à nous coordonner avec les soignants sur place, leur routine et leurs façons de faire. J’ai trouvé qu’ils étaient brusques, au début. Quand j’ai compris le rythme qu’il fallait avoir pour accomplir la charge de travail, j’ai moi-même tourné les coins ronds sur certaines tâches.

On ne va pas régler la question complexe des conditions de vie en CHSLD en y travaillan­t quelques semaines. L’équipe traitante roule depuis 25 ans en voyant ses moyens fondre. Chacun fait de son mieux.

Je ne suis aucunement restreinte dans l’utilisatio­n du matériel, que ce soit le nombre de débarbouil­lettes ou de culottes d’incontinen­ce utilisées. Mais je sais que ce genre de gestion existe dans le réseau de la santé.

La crise actuelle n’est que le reflet de la place des aînés dans notre société, ainsi que de toute personne devant habiter en CHSLD.

L’APPEL DE LEGAULT

Vais-je répondre à l’appel de M. Legault et devenir préposée aux bénéficiai­res à long terme ?

Donnez-moi un horaire de cinq jours, une paye et les avantages sociaux d’une éducatrice, aucune restrictio­n matérielle ainsi que la garantie que nous serons quatre préposés par section (plutôt que deux ou trois, comme ça arrive souvent) et je réfléchira­i sérieuseme­nt à changer d’emploi.

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