Le Journal de Quebec

L’immense rattrapage du peuple québécois

- Jean-denis Garon jean-denis.garon c @quebecorme­dia.com Jean-denis Garon est professeur à L’ESG UQAM

Nous commémoron­s ce mois-ci les 50 ans de la crise d’octobre et les 25 ans du référendum de 1995. Le recul nous permet aujourd’hui de porter un regard serein sur notre nationalis­me économique et sur le rôle qu’il a joué dans notre développem­ent.

Dans son dernier film, Félix Rose, fils du felquiste Paul Rose, présente les conditions de vie dans lesquelles son père a grandi. Les Rose vivaient à Ville Jacques-cartier, aujourd’hui fusionnée à Longueuil.

Le film montre des ouvriers canadiens-français vivant sans système d’égout, sans service d’incendie. Dans la misère la plus complète en pleine région métropolit­aine. À quelques kilomètres à peine des grandes tours du centre-ville de Montréal.

DOMINATION ÉCONOMIQUE

Mon collègue, l’économiste Pierre Fortin, a calculé qu’en 1961, le salaire d’un Québécois francophon­e équivalait à 52 % de celui d’un anglophone. En pourcentag­e, cela veut dire que l’anglophone moyen avait un revenu 92 % plus élevé que celui d’un francophon­e.

C’est dans ce contexte qu’un groupe comme le Front de libération du Québec est apparu, pour s’insurger contre la domination économique des anglophone­s sur les francophon­es. Rien n’excuse les gestes impardonna­bles que le FLQ a commis. Ce qui ne nous empêche pas de vouloir comprendre « le pourquoi ».

DISCRIMINA­TION ETHNIQUE

Le nationalis­me québécois a mené à l’adoption de la loi 22, par le Parti libéral du Québec, qui a fait du français notre seule langue officielle. Suivie de la loi 101 par le Parti québécois, qui assurera une meilleure intégratio­n des immigrants.

Ces lois, fustigées au Canada anglais et qualifiées de racistes par la minorité anglophone du Québec, furent de puissants outils économique­s. Parce que dans les années 1970, naître dans une famille francophon­e était un grave handicap économique.

En 1960, seulement 47 % de l’emploi total du Québec était sous le contrôle d’entreprise­s de propriété francophon­e. Au passage de l’an 2000, le ratio avait fortement augmenté mais la proportion n’était encore que de 67 %.

IL FALLAIT NAÎTRE ANGLOPHONE

Mon grand-père a travaillé toute sa vie dans une usine de papier au Saguenay. Ses patrons étaient unilingues anglophone­s. C’est en anglais qu’on parlait au boss : « speak white » ! La langue de travail en haut de la hiérarchie, c’était l’anglais. Même dans la région des Tremblay.

Les jeunes d’aujourd’hui me diront : « Il avait juste à être bilingue, ton grand-père ! » Eh bien non. Il fallait être anglophone de naissance.

L’économiste Nicolas Béland a rigoureuse­ment documenté l’ampleur de cette discrimina­tion. Ses travaux montrent qu’en 1970, un anglophone bilingue à Montréal gagnait 10 % plus cher qu’un francophon­e bilingue, et cela, pour un même niveau d’éducation.

La discrimina­tion envers les francophon­es, groupe majoritair­e, sévissait donc même au sommet de la pyramide sociale. De même, un anglophone unilingue gagnait 20 % plus cher qu’un francophon­e unilingue, pour un même niveau d’éducation.

C’est pour cela que le gouverneme­nt a dû imposer le français comme seule langue de travail. Et c’est pour cela qu’on ne comprend pas, même en 2020, l’obstinatio­n du gouverneme­nt fédéral à ne pas appliquer nos lois linguistiq­ues aux entreprise­s sous sa juridictio­n.

DE FRAGILES ACQUIS

Il serait facile de décrire d’autres inégalités économique­s subies par les francophon­es du Québec au cours du siècle dernier. En commençant par notre retard en éducation.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que notre nationalis­me a été nourri par les inégalités envers les francophon­es. Qu’au-delà des incidents d’octobre, ce nationalis­me a été pacifique et qu’il nous a permis de nous prendre en main. Mais que nos acquis restent fragiles.

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