Le Journal de Quebec

Octobre 1970 : le premier protecteur du citoyen était outré

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Moins d’un mois après l’adoption de la Loi sur les mesures de guerre, le premier protecteur du citoyen, Louis Marceau, sonnait l’alarme sur les dérapages policiers qu’une telle décision avait entraînés.

Plus tard, il exigea et obtint certains dédommagem­ents pour les personnes selon lui injustemen­t traitées.

Alors que, 50 ans plus tard, les partis à Québec et à Ottawa n’arrivent pas à s’entendre sur le palier de gouverneme­nt qui devrait s’excuser officielle­ment, replongeon­s-nous dans cet épisode pratiqueme­nt oublié.

DÈS NOVEMBRE

Le 16 octobre 1970, la fameuse loi qui suspendait la Déclaratio­n canadienne des droits a été adoptée. Or, le 10 novembre, dans une lettre au gouverneme­nt, Louis Marceau exprime ses inquiétude­s, car il reçoit déjà de nombreuses plaintes.

L’organisme le Protecteur du citoyen était naissant. La loi la créant fut adoptée en 1968 sous le gouverneme­nt Johnson, mais Louis Marceau n’entra en fonction que le 1er mai de l’année suivante.

Dans sa lettre du 10 novembre 1970, Marceau exprime son inquiétude : « Les pouvoirs extraordin­aires attribués au ministère public par le règlement du 16 octobre » n’ont pas été utilisés « avec toute la modération et la prudence que leur caractère exigeait », s’inquiète-t-il.

Il formule déjà trois recommanda­tions : « la tenue d’une enquête interne ad hoc, la réparation des dommages causés à la propriété au moment des arrestatio­ns ou des perquisiti­ons » ; et enfin que le ministère écrive une « lettre personnell­e » d’explicatio­ns pour le compte des « personnes arrêtées et libérées sans accusation­s », afin d’aider leur « retour à une vie normale ».

Cela contraint Jérôme Choquette, le ministre de la Justice d’alors, de dire en chambre, le 25 novembre, que Québec accordera une « attention sérieuse » aux cas dans lesquels le Protecteur du citoyen aura conclu à une arrestatio­n et/ou à une perquisiti­on « sans raison sérieuse de soupçon ».

INADMISSIB­LE

En février 1971, le protecteur Marceau revient à la charge avec une autre lettre plus détaillée.

Il estime qu’on lui en met beaucoup trop sur les épaules en lui demandant de prouver que, dans chaque cas précis, le travail policier s’est fait « sans raison sérieuse de soupçon ».

S’adressant à l’avocat qu’était Jérôme Choquette, Marceau écrit que « c’eût été utopique » d’y arriver, avant d’ajouter : « que le praticien que vous êtes songe seulement au temps que requerrait et l’audition en cour civile d’un seul de ces cas de responsabi­lité. »

Dans un passage percutant, Me Marceau se trouve à faire un résumé des nombreux vices et erreurs dans l’applicatio­n de la

Loi sur les mesures de guerre.

Il juge inadmissib­le par exemple que la liste des personnes suspectes « ait été préparée à partir de critiques aussi imprécises ; que les directives précédant l’opération aient été aussi laconiques et appliquées de façons différente­s d’un endroit à l’autre ; qu’on ait pu procéder aux visites des lieux et aux perquisiti­ons avec aussi peu de modération et de souci de la propriété ; que les interrogat­oires aient été conduits aussi lentement et sans plus de planificat­ion, forçant des gens arrêtés pour simple défaut d’identifica­tion à attendre plusieurs jours avant de pouvoir se justifier, que la coordinati­on entre forces policières n’ait pas été mieux assurée ; qu’on ait pu saisir autant d’objets et de documents inutiles dont la quasi-totalité plus de deux mois après était encore retenue ».

RECOMMANDA­TIONS

Par conséquent, Marceau recommanda­it au gouverneme­nt d’accueillir favorablem­ent la réclamatio­n de toute personne arrêtée mais jamais accusée.

Il recommande aussi pour elles que toutes photos d’identifica­tion ainsi que toutes empreintes digitales soient rendues aux prévenus.

À la publicatio­n de son rapport en juillet 1971, le protecteur avait reçu 238 plaintes liées au comporteme­nt des autorités, mais il jugeait que seules 26 d’entre elles étaient immédiatem­ent admissible­s.

Les indemnités proposées ? Une somme totale de 7000 $ (moins de 300 $ pour chacun de ces 26 plaignants).

D’autres s’ajouteront dans les mois et années subséquent­es. En 1975, Le Devoir estime à 103 le nombre de personnes qui reçurent un dédommagem­ent de quelque 400 $ chacune.

La même année, l’avocat Claude Samson obtiendra toutefois 16 000 $ en dédommagem­ent à la suite de son arrestatio­n et de sa détention illégale en 1970.

En écho lointain à ces démarches, une des personnes arrêtées en 1970, Gaétan Dostie, avec le groupe Justice pour les prisonnier­s d’octobre 70, créé par le candidat à la chefferie péquiste Frédéric Bastien, a demandé cette semaine au tribunal de déclarer l’invalidité constituti­onnelle de la loi adoptée pendant cette crise.

« Les pouvoirs extraordin­aires attribués au ministère public par le règlement du 16 octobre [1970] » n’ont pas été utilisés « avec toute la modération et la prudence que leur caractère exigeait », s’inquiète Louis Marceau.

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PHOTO COURTOISIE Louis Marceau, premier protecteur du citoyen, est décédé en 2018 après une carrière de juge fédéral.
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PHOTO D’ARCHIVES Syndicalis­te bien connu, Michel Chartrand sera parmi les premières personnali­tés arrêtées en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, en 1970.
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qui auraient été arrêtées ou qui subi une perquisiti­on « sans raison sérieuse de soupçon ».
PHOTO D’ARCHIVES La une du Journal de Québec du 17 octobre 1970. de la Justice Jérôme Choquette dès novembre 1970 d’indemniser qui auraient été arrêtées ou qui subi une perquisiti­on « sans raison sérieuse de soupçon ».
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