Octobre 1970 : le premier protecteur du citoyen était outré
Moins d’un mois après l’adoption de la Loi sur les mesures de guerre, le premier protecteur du citoyen, Louis Marceau, sonnait l’alarme sur les dérapages policiers qu’une telle décision avait entraînés.
Plus tard, il exigea et obtint certains dédommagements pour les personnes selon lui injustement traitées.
Alors que, 50 ans plus tard, les partis à Québec et à Ottawa n’arrivent pas à s’entendre sur le palier de gouvernement qui devrait s’excuser officiellement, replongeons-nous dans cet épisode pratiquement oublié.
DÈS NOVEMBRE
Le 16 octobre 1970, la fameuse loi qui suspendait la Déclaration canadienne des droits a été adoptée. Or, le 10 novembre, dans une lettre au gouvernement, Louis Marceau exprime ses inquiétudes, car il reçoit déjà de nombreuses plaintes.
L’organisme le Protecteur du citoyen était naissant. La loi la créant fut adoptée en 1968 sous le gouvernement Johnson, mais Louis Marceau n’entra en fonction que le 1er mai de l’année suivante.
Dans sa lettre du 10 novembre 1970, Marceau exprime son inquiétude : « Les pouvoirs extraordinaires attribués au ministère public par le règlement du 16 octobre » n’ont pas été utilisés « avec toute la modération et la prudence que leur caractère exigeait », s’inquiète-t-il.
Il formule déjà trois recommandations : « la tenue d’une enquête interne ad hoc, la réparation des dommages causés à la propriété au moment des arrestations ou des perquisitions » ; et enfin que le ministère écrive une « lettre personnelle » d’explications pour le compte des « personnes arrêtées et libérées sans accusations », afin d’aider leur « retour à une vie normale ».
Cela contraint Jérôme Choquette, le ministre de la Justice d’alors, de dire en chambre, le 25 novembre, que Québec accordera une « attention sérieuse » aux cas dans lesquels le Protecteur du citoyen aura conclu à une arrestation et/ou à une perquisition « sans raison sérieuse de soupçon ».
INADMISSIBLE
En février 1971, le protecteur Marceau revient à la charge avec une autre lettre plus détaillée.
Il estime qu’on lui en met beaucoup trop sur les épaules en lui demandant de prouver que, dans chaque cas précis, le travail policier s’est fait « sans raison sérieuse de soupçon ».
S’adressant à l’avocat qu’était Jérôme Choquette, Marceau écrit que « c’eût été utopique » d’y arriver, avant d’ajouter : « que le praticien que vous êtes songe seulement au temps que requerrait et l’audition en cour civile d’un seul de ces cas de responsabilité. »
Dans un passage percutant, Me Marceau se trouve à faire un résumé des nombreux vices et erreurs dans l’application de la
Loi sur les mesures de guerre.
Il juge inadmissible par exemple que la liste des personnes suspectes « ait été préparée à partir de critiques aussi imprécises ; que les directives précédant l’opération aient été aussi laconiques et appliquées de façons différentes d’un endroit à l’autre ; qu’on ait pu procéder aux visites des lieux et aux perquisitions avec aussi peu de modération et de souci de la propriété ; que les interrogatoires aient été conduits aussi lentement et sans plus de planification, forçant des gens arrêtés pour simple défaut d’identification à attendre plusieurs jours avant de pouvoir se justifier, que la coordination entre forces policières n’ait pas été mieux assurée ; qu’on ait pu saisir autant d’objets et de documents inutiles dont la quasi-totalité plus de deux mois après était encore retenue ».
RECOMMANDATIONS
Par conséquent, Marceau recommandait au gouvernement d’accueillir favorablement la réclamation de toute personne arrêtée mais jamais accusée.
Il recommande aussi pour elles que toutes photos d’identification ainsi que toutes empreintes digitales soient rendues aux prévenus.
À la publication de son rapport en juillet 1971, le protecteur avait reçu 238 plaintes liées au comportement des autorités, mais il jugeait que seules 26 d’entre elles étaient immédiatement admissibles.
Les indemnités proposées ? Une somme totale de 7000 $ (moins de 300 $ pour chacun de ces 26 plaignants).
D’autres s’ajouteront dans les mois et années subséquentes. En 1975, Le Devoir estime à 103 le nombre de personnes qui reçurent un dédommagement de quelque 400 $ chacune.
La même année, l’avocat Claude Samson obtiendra toutefois 16 000 $ en dédommagement à la suite de son arrestation et de sa détention illégale en 1970.
En écho lointain à ces démarches, une des personnes arrêtées en 1970, Gaétan Dostie, avec le groupe Justice pour les prisonniers d’octobre 70, créé par le candidat à la chefferie péquiste Frédéric Bastien, a demandé cette semaine au tribunal de déclarer l’invalidité constitutionnelle de la loi adoptée pendant cette crise.
« Les pouvoirs extraordinaires attribués au ministère public par le règlement du 16 octobre [1970] » n’ont pas été utilisés « avec toute la modération et la prudence que leur caractère exigeait », s’inquiète Louis Marceau.