Nous avions raison de faire enquête
Personne n’y croyait, en 2013. Enquêter sur les contrats informatiques du gouvernement ? Ça semblait compliqué. Que pourrait-on y trouver ?
À l’époque, ce sont plutôt les magouilles dans l’industrie de la construction qui avaient la vedette.
La société québécoise était plongée en pleine commission Charbonneau, là où défilaient des entrepreneurs aux moeurs douteuses et des vice-présidents de firmes de génie qui fournissaient des enveloppes destinées au financement politique occulte.
Prenant leur courage à deux mains, les journalistes et recherchistes de notre Bureau d’enquête se sont tout de même attaqués à la bête du bordel informatique.
Ils ont dû apprendre des notions complexes de fractionnement des contrats, d’appels d’offres dirigés, de taux horaires de consultants, d’infonuagique.
Ils ont aussi dû se familiariser avec des acronymes comme :
√ RENIR, un système de communication d’urgence non fonctionnel dont les coûts vont dépasser le milliard ;
√ SAGIR, un projet de modernisation des systèmes informatiques de gestion de l’administration publique québécoise, rebaptisé « ça chire » par plusieurs fonctionnaires en référence à sa facture 15 fois plus élevée que prévu) ;
√ SEAO, le système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec, si obscur que des contrats y sont souvent publiés des mois, voire des années après avoir été octroyés ;
√ CSPQ, le Centre de services partagés du Québec, qui faisait de nombreuses acquisitions en informatique pour des ministères. Il était tellement inefficace qu’il a été démantelé en 2019 et remplacé… par deux organismes qui portent les doux noms d’infrastructures technologiques du Québec (ITQ) et Centre d’acquisitions gouvernementales (CAG).
Ouf…
C’EST BIEN LE BORDEL
Nos équipes ont découvert un bar ouvert de projets gigantesques où les dépassements de coûts semblent la norme plutôt que l’exception. Ce n’est pas pour rien que le grand patron de l’informatique au Québec a changé six fois en cinq ans, comme nous le révélions en juin dernier.
Bref, c’est le bordel.
La vérificatrice générale a fait le même constat dans son rapport déposé ce jeudi. Elle souligne à grands traits les cafouillages que nous avions déjà révélés dans RENIR et dans Rendez-vous santé Québec, un système qui a coûté 15 M$ et qui n’est à peu près pas utilisé.
GRÂCE AUX JOURNALISTES
Je salue le travail de journalistes talentueux et tenaces comme Jean-nicolas Blanchet, devenu adjoint au directeur de l’information au
et Nicolas Lachance, qui a repris le flambeau des enquêtes sur l’informatique.
Je peux vous assurer qu’ils continueront d’avoir à l’oeil la façon dont le gouvernement dépense chaque année des milliards $ de votre argent pour des contrats informatiques.
Vous me direz que je prêche pour ma paroisse, mais un constat s’impose : ce sont des journalistes d’enquête qui ont initié le grand ménage dans les contrats informatiques au gouvernement.
Tout comme ce sont des journalistes qui, quelques années auparavant, avaient déterré les premiers scandales de financement politique illégal, de corruption dans les municipalités et de collusion dans les contrats publics qui ont mené à la commission Charbonneau.
DANS LES COULISSES DE L’HÔPITAL
En terminant, je vous invite à lire le reportage que notre Bureau d’enquête vous présente aujourd’hui dans les pages 34 à 37 sur la première patiente québécoise qui a reçu un test positif à la COVID-19. Mes collègues Éric Yvan
Lemay et Alexis Magnaval vous entraînent dans les coulisses de l’hôpital de Verdun, à Montréal, là où elle est débarquée en taxi par un après-midi froid de la fin février.
Ici, nos journalistes faisaient face à un défi de taille. Comment raconter l’histoire d’une patiente qu’il nous est interdit d’identifier, en raison du principe sacré de confidentialité des dossiers médicaux ?
Ils ont réussi, grâce à la précieuse collaboration du CIUSSS du CentreSud de Montréal, à mener des entrevues avec les professionnels de la santé et le personnel qui l’ont soignée.
Ces entrevues font aussi l’objet d’un reportage vidéo disponible sur les sites web du et du
On comprend mieux dans quel état d’esprit se trouvaient ces travailleurs de la santé dévoués, à l’époque où on ne connaissait à peu près rien de ce virus, sinon qu’il était potentiellement un ennemi mortel.
Bonne lecture, et bon visionnement !