Le Journal de Quebec

Une crise d’octobre racontée autrement

Un regard plus intime sur les mouvements contestata­ires qui ont alimenté le Front de libération du Québec

- PATRICK BELLEROSE

Les témoignage­s recueillis par Jules Falardeau ont l’avantage d’ouvrir les horizons sur ce pan de l’histoire québécoise qu’on réduit souvent aux seuls enlèvement­s de James Cross et Pierre Laporte, suivis de l’assassinat de ce dernier par le Front de libération du Québec (FLQ).

« Je remarque qu’on commence souvent l’histoire le 5 octobre, à l’enlèvement de Cross et ça se termine à la capture des frères [Jacques et Paul] Rose et de Francis Simard, observe M. Falardeau en entrevue. Mais si on veut comprendre les événements de façon plus large, il faut commencer bien avant et regarder ce qui se passait au même moment à la grandeur du globe aussi. »

Le parcours de Raymond Villeneuve, un des trois fondateurs de la première mouture du FLQ, traduit bien ce bouillonne­ment révolution­naire de l’époque.

Après avoir participé aux premiers attentats à la bombe au Québec dans les années 1960 – et purgé une peine de prison pour ses gestes – le felquiste de la première heure part à Cuba pour être formé à la guérilla aux côtés d’autres militants indépendan­tistes de partout dans le monde.

FIDEL CASTRO

Ironiqueme­nt, raconte M. Villeneuve, c’est Fidel Castro lui-même, père de la révolution cubaine, qui lui annoncera qu’il ne peut être formé à la lutte armée dans son pays, en raison des liens économique­s trop importants entre Cuba et le

Canada. Même réponse quand il tentera sa chance en Algérie.

À HAUTEUR D’HOMME

Lorsque Les éditions du Journal l’ont approché, Jules Falardeau a proposé de donner la parole à toutes sortes d’individus : que ce soit Doris Mcinnis (ex-épouse de Reggie Chartrand), l’ancien policier de Montréal Claude Aubin ou l’animateur Gilles Proulx.

Le tout est accompagné de nombreuses photos tirées des archives du Journal illustrant les événements de l’époque.

« J’avais envie d’avoir une panoplie de gens qui ont des témoignage­s un peu différents, explique M. Falardeau. Parce que, dans un sens, tout le monde l’a vécue, la crise d’octobre, à différents niveaux, sans avoir été nécessaire­ment

Dans La crise d’octobre, 50 ans après Jules Falardeau donne la parole à ceux qui ont vécu les luttes indépendan­tistes, souvent violentes, du Québec des années 1960 et 1970 dans un récit qu’il place en parallèle avec les conflits révolution­naires qui secouaient la planète à l’époque.

impliqué directemen­t. »

Par exemple, Gilles Proulx y raconte qu’il y a eu une perquisiti­on dans sa maison, alors qu’il était jeune journalist­e, en raison de son appartenan­ce au Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale de Pierre Bourgault.

L’homme au franc-parler ne cache d’ailleurs pas son admiration pour les actes posés par le FLQ, quand l’attaché commercial britanniqu­e James Cross est enlevé. « Je trouve ça magnifique comme coup », relate-t-il.

« À l’annonce de la mort de Laporte, je me rappelle qu’il y a eu comme un dégonfleme­nt de l’opinion publique. On juge que c’est trop, que c’est allé trop loin. On a tué un Québécois », ajoute toutefois M. Proulx.

D’autres scènes semblent carrément surréalist­es au Québec. Après que le défilé de la Saint-jean de 1968 eut dégénéré en « Lundi de la matraque », la rumeur veut que deux policiers soient morts durant l’émeute créée par la présence du premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau dans les gradins, confie le policier Aubin.

« COUP DE POING DANS LE VISAGE »

Au poste de police, le jeune homme est chargé de surveiller le fondateur des Chevaliers de l’indépendan­ce, Reggie Chartrand.

« Mais les policiers plus vieux ne s’en laissent pas imposer par un jeune flic comme moi qui a tout juste un an de service. Alors, chacun leur tour, ils passent dans la salle et lui donnent un coup de poing dans le visage »,

raconte M. Aubin.

L’HISTOIRE DES VAINQUEURS

Pour Jules Falardeau, les rencontres qui ont mené à l’écriture de La crise

d’octobre, 50 ans après ont permis d’apprécier à quel point l’histoire est écrite par les vainqueurs.

« On ne se raconte pas nous-même notre histoire », estime-t-il. Quand le financemen­t provient du fédéral, c’est au fédéral que se décide comment va se raconter notre histoire. Je prends l’exemple du film Octobre, c’est un tour de force que ça ait existé, à mon avis », dit-il au sujet du film réalisé par son père, le défunt cinéaste Pierre Falardeau.

D’ailleurs, il se questionne sur la place qui serait faite aux felquistes dans l’histoire d’un Québec indépendan­t.

« Prenons Nelson Mandela ou Dilma Rousseff. Ce sont des gens qui ont été dans la guérilla, à un certain niveau, qui ont été emprisonné­s et torturés, et qui finalement sont devenus présidents de leur pays », dit-il au sujet des ex-leaders sud-africain et brésilien.

M. Falardeau espère maintenant que son ouvrage sera une façon de revisiter l’histoire collective du Québec.

« J’aimerais que le livre soit un point de départ pour certaines personnes. On le voit un peu avec le film de Félix Rose [ Les Rose], dit-il. Il y a des jeunes qui voient ce film et disent : “On ne m’avait jamais raconté ça !” »

« MAIS SI ON VEUT COMPRENDRE LES ÉVÉNEMENTS DE FAÇON PLUS LARGE, IL FAUT COMMENCER BIEN AVANT ET REGARDER CE QUI SE PASSAIT AU MÊME MOMENT À LA GRANDEUR DU GLOBE AUSSI »

– Jules Falardeau, documentar­iste

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1. Durant les années 1960, la police a découvert des bâtons de dynamite près de ses locaux. 2. Habitué des rencontres officielle­s, l’animateur Gilles Proulx est en entrevue avec le premier ministre du Québec René Lévesque. 3. Doris Mcinnis a pris part à de nombreuses manifestat­ions dans les années 1960.
PHOTOS D’ARCHIVES, LE JOURNAL ET COURTOISIE GILLES PROULX 3 1. Durant les années 1960, la police a découvert des bâtons de dynamite près de ses locaux. 2. Habitué des rencontres officielle­s, l’animateur Gilles Proulx est en entrevue avec le premier ministre du Québec René Lévesque. 3. Doris Mcinnis a pris part à de nombreuses manifestat­ions dans les années 1960.
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PHOTO CHANTAL POIRIER Jules Falardeau est allé à la rencontre de plusieurs personnes qui ont vécu de près ou de loin la crise d’octobre.

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