Le Journal de Quebec

Joyce Echaquan n’est pas la seule victime

Les Autochtone­s ont bien des raisons de craindre le traitement que leur réserve le système de santé

- NORA T. LAMONTAGNE

Les propos racistes du personnel soignant de l’hôpital de Joliette envers l’attikamek Joyce Echaquan ne sont que la pointe de l’iceberg, estiment des profession­nels de la santé qui ont été témoins d’autres situations inadmissib­les.

La chute d’un membre des Premières Nations que l’on a reliée à l’alcoolisme alors qu’un scan a révélé un cancer du cerveau ; un médecin qui s’acharne à tenter de convaincre les proches d’un Autochtone mourant de lui injecter de la morphine même s’il en refuse dans sa l angue maternelle ; une appendicit­e minimisée par un soignant qui considérai­t le patient « juste saoul », retardant son évacuation par avion pour se faire opérer.

Le cas de Joyce Echaquan – morte à 37 ans après avoir consulté pour des douleurs à l’estomac, dans des circonstan­ces qui font l’objet d’une enquête – est loin d’être unique

Ces exemples ne sont qu’une petite partie des cas de discrimina­tion envers les Autochtone­s que Le Journal a récoltés en entrevue avec six médecins, un psychologu­e et une travailleu­se de rue dans les derniers jours.

« C’est le tout qui me rend en colère. Ces communauté­s-là ne sont pas traitées de façon digne », s’insurge le pédiatre urgentiste Samir Shaheen-hussain.

Le médecin a longtemps milité pour mettre fin à une pratique qui interdisai­t aux enfants, souvent cris ou inuits, d’être accompagné­s par un proche lors d’évacuation­s aéromédica­les à partir de communauté­s éloignées. Elle a finalement été abolie en 2018.

MÉFIANCE ENVERS LE SYSTÈME

La peur de se faire maltraiter ou juger en allant consulter pour un problème de santé mène aussi certains Autochtone­s à éviter à tout prix les hôpitaux ou les cliniques.

« C’est important de réaliser qu’il y a une continuité. Beaucoup de ces communauté­s ont subi de la violence médicale [par le passé] », rappelle le Dr Shaheen-hussain.

Cette méfiance envers le système de santé mène à des retards de diagnostic, constate le premier chirurgien autochtone québécois, le Dr Stanley Vollant, ce qui cause des complicati­ons parfois dramatique­s.

« Il y a des gens de ma communauté qui attendent, attendent, attendent… Et le cancer qui était opérable il y a trois mois ne l’est plus aujourd’hui. »

Le même scénario se répète chez ceux qui doivent se faire amputer parce que leur diabète a été diagnostiq­ué trop tard, ajoute-t-il.

Avec le décès de Mme Echaquan, « il y a eu un point de non-retour, s’inquiète la Dre Caroline Vu, qui a soigné des Innus de Mashteuiat­sh (PointeBleu­e), au Lac-saint-jean, pendant sa résidence. Je ne sais plus si la population fait confiance au système de santé. »

Médecin de 2014 à 2017 dans la communauté de Whapmagoos­tui, située au Nord-du-québec, Julie Sirois-leclerc a souvent remarqué de la discrimina­tion envers ses patients qui devaient être transférés au sud.

Seule docteure pour gérer des cas parfois graves, disposant de peu d’équipement dans le Grand Nord, elle devait souvent les envoyer dans des hôpitaux régionaux.

« Je me rappelle d’un jeune homme qui était revenu au village avec une grosse complicati­on de sa chirurgie. Ça m’avait pris des heures à le transférer parce que personne n’en voulait », illustre-t-elle.

« Joyce est morte, mais il y en a probableme­nt des dizaines d’autres qui sont décédés en raison d’un manquement de soins… On pointe Joliette, mais il faut considérer tous les centres de santé », conclut sombrement Stanley Vollant.

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Chirurgien
DR STANLEY VOLLANT Chirurgien

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