Exil à Paris
Le Centre d’information sur les prisonniers politiques (CIPP) délègue un membre en France pour nous rencontrer. C’est une avocate qui vient nous confronter après avoir recueilli la position des différents exilés face à notre entrevue, entrevue qu’ils n’ont évidemment pas vue !
À peine entrée dans notre appartement, sans même prendre le temps de s’asseoir, elle nous dit : « Paul fait dire de vous la fermer ! »
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J’ai crié : « Quoi ! Me la fermer ! Personne ne me dira de la fermer. Il revient à moi de décider quand parler et ne pas parler. »
Selon les dires de cette avocate, nous sommes désormais couverts de ridicule et nous nous situons complètement en dehors de la gauche et bien sûr de la mystique qui entoure le FLQ et la crise d’octobre 1970.
Elle affirme que notre intervention publique relève de l’inconscience politique et que le bilan de cette entrevue apparaît en fin de compte très négatif.
Nous nous sommes permis de parler alors que les prisonniers politiques n’en ont pas le loisir.
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Je reste encore désarçonnée, particulièrement dégoûtée, par ces facéties felquistes. Nous avions officiellement tourné le dos au FLQ et à son action à Cuba et cette nouvelle condamnation confirmait notre choix.
Depuis le temps que les felquistes, quels qu’ils soient, tentaient de nous isoler et de faire croire à notre mort intellectuelle, cherchant constamment à nous exclure, à faire le vide autour de nous, allant jusqu’à la désinformation au Québec sur notre dos.
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Plusieurs fois, on nous a informés que la gauche au Québec connaissait notre traîtrise envers le FLQ et le Québec. On affirmait que plusieurs groupes avaient été avertis que nous avions « retourné notre capot de bord » pour devenir marxistes-léninistes en France.
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Pourtant, toutes ces histoires sur la crise d’octobre 1970, ces commissions d’enquête, ces chroniques journalistiques, ces déclarations à gauche et à droite des gouvernements et des felquistes ne font que confirmer qu’il est temps de démystifier et de dédramatiser cette crise, parce que la monopolisation de l’action d’octobre 1970 que tout un chacun en fait, y inclus les gouvernements et les services secrets, lui enlève tout son sens. […] Nous sommes suivis pas à pas par deux hommes qui ne s’en cachent guère.
Ils sont sur notre trajet à l’aller et au retour du travail de Jacques et du mien. Je les vois par la fenêtre de l’autobus qui me conduit au travail. Ils se placent même un matin, vers sept heures, dans un placard du 14e étage qui sert au rangement du matériel de sécurité et de feu.
Un jeune homme habitant au
14e étage vient nous informer que des hommes nous surveillent et qu’il les a surpris dans le placard.
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Vers la deuxième semaine, ces mêmes personnes se présentent à la maternelle que fréquentent Alexis et Marie-ange pour les emmener avec eux. Le soir, le personnel de la maternelle m’annonce cette visite en m’assurant qu’on a même refusé de leur dire si Alexis et Marie-ange étaient présents.
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Jacques et moi comprenons dès lors que notre tête est mise à prix par ces felquistes qui ont décidé qui sont les vrais felquistes et qu’ils passeraient par les armes toute personne qui diverge d’opinion, qui ne reconnaît pas « l’autorité suprême », comme dans les groupes de guérilleros, et comme je crois que cela s’est passé pour François Mario Bachand.
Bref, comme nous ne voulons pas « fermer notre gueule », Jacques Cossette-trudel et moi, certains semblaient vouloir faire en sorte de nous la fermer !
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Je suis certaine que, n’eût été cette ceinture de sécurité érigée autour de nous ainsi que la parution dans un journal au Québec de la tentative d’enlèvement de nos enfants et d’intimidation à notre égard, nous aurions sans doute été « éliminés », comme nous présumons que l’a été François Mario Bachand et comme nombre de guérilleros d’amérique du Sud l’ont été. Pour simples divergences politiques !