Le Journal de Quebec

La boxe au temps du choléra

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SHAWINIGAN | Une soirée de boxe ? En quittant le stationnem­ent vide devant le centre Gervais Auto, l’absurdité de la situation m’a frappé de plein fouet.

Pas un chat. Pas un bruit. J’entendais les roulettes de la valise de mon ordinateur. En cinquante ans au Forum, au Centre Bell ou à des Jeux olympiques, je n’avais jamais remarqué que les roulettes grinçaient.

Peut-être que le temps d’y ajouter un peu d’huile WD40 est arrivé.

Mais c’était le début de l’état de choc. La Santé publique ne voulait pas de ce gala. La Santé publique ne voulait pas de boxe. On a fini par plier devant la déterminat­ion de Camille Estephan et de ses avocats, mais tout a été fait jusqu’à la dernière minute pour faire suer ceux qui étaient impliqués dans l’aventure.

DES COSMONAUTE­S

J’ai installé mon masque avant de franchir la première porte. Puis, j’ai passé mes mains au Purell et rempli un formulaire avec un stylo désinfecté. J’ai changé de table où m’attendait un autre gallon de Purell et j’ai rempli un autre formulaire avec le même stylo désinfecté.

Ensuite, on a pris ma températur­e, anormaleme­nt basse, et je suis allé remplir un autre formulaire pour certifier que j’étais à 34,6. Puis, on a repris mon stylo à trente sous et on l’a désinfecté devant moi. Sans doute pour le passer à un autre pestiféré.

J’arrête ici pour ne pas vous écoeurer davantage. Lave les mains, replace ton masque, deux mètres de distance. Jasette avec Michel Angers, monsieur le maire de Shawinigan, et Roger Lavergne. Trois masqués dérangés par un gardien de sécurité venu exiger la distanciat­ion sociale de deux mètres.

J’ignorais que monsieur le maire était aussi contagieux…

C’est que les employés de sécurité étaient terrorisés. La Santé publique leur a tellement fait peur qu’ils auraient tué plutôt que de laisser Mathieu Boulay baisser son masque pour manger ses pinottes. On a réalisé dans le Centre Gervais Auto que la peur détricote rapidement le tissu social. On se regardait à deux mètres, essayant de comprendre le marmonnage à travers le masque et on se demandait à quoi on aurait l’air après la sixième vague.

À des figurants dans Zombie.

Après la victoire de Lexson Mathieu, des exterminat­eurs sont montés sur le ring avec des appareils impression­nants. Vêtus comme les cosmonaute­s, ils ont noyé câbles et tapis d’un liquide mal odorant.

Le problème, c’est que Dillon Carman s’est couché après vingt secondes de son combat. Si c’était un coronaviru­s, il n’a pas eu le temps d’être contagieux. Mais les exterminat­eurs sont venus quand même nettoyer la vermine…

UN DÉSASTRE

Stéphane Loyer, le matchmaker de la soirée, était catastroph­é après les deux premiers combats. Il avait eu toutes les difficulté­s du monde à dénicher trois adversaire­s au Canada qui accepterai­ent de se taper 14 jours de quarantain­e avant l’événement et un autre 10 jours après la soirée. Il avait essuyé de nombreux refus et il refusait de croire que des athlètes sérieux s’obligeraie­nt à une quarantain­e pour venir se coucher devant un adversaire. Sacrifier deux semaines de paye pour une minute à Shawinigan, où est la logique ?

Lexson Mathieu a vraiment enfoncé son poing dans le foie de Tim Cronin. C’était une gauche à la Lucian Bute et Cronin a été paralysé par la douleur : « Un gars ne peut pas se relever » a d’ailleurs expliqué Mathieu après le combat.

Mais Carman n’a convaincu personne. On l’a vu en Russie jouer la même comédie. En fait, ils étaient plusieurs à raconter que Carman avait déjà perdu la bataille la veille à l’auberge des Gouverneur­s. Ça se chicanait pas mal dans sa chambre et ceux qui étaient dans le corridor ont eu droit à un radioroman de qualité.

Mais pour Camille Estephan, cet abandon maladroit doublé d’une comédie de mauvaise qualité, a mis en péril une soirée de boxe qui avait exigé un travail d’enfer. Mais il faisait bonne figure contre l’adversité : « Au moins, c’est clair que ce gars-là ne pouvait durer contre Arslanbek Makhmudov. C’est poche parce que les circonstan­ces ne nous ont pas permis de présenter plus de combats, mais au moins, nos gars ont donné la performanc­e qu’on espérait d’eux », a-t-il dit.

Mais la boxe au temps du choléra ne donnera pas un chef-d’oeuvre de la littératur­e…

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PHOTO COURTOISIE VINCENT ?? Arslanbek Makhmudov n’a eu besoin que d’un coup de la gauche à la septième seconde du premier round pour terrasser Dillon Carman
ETHIER/EOTTM PHOTO COURTOISIE VINCENT Arslanbek Makhmudov n’a eu besoin que d’un coup de la gauche à la septième seconde du premier round pour terrasser Dillon Carman

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