Nourrir la polarisation est un jeu dangereux
À l’université d’ottawa, le recteur Jacques Frémont a failli sur toute la ligne. La professeure Verushka Lieutenant-duval s’est vu traîner dans la boue par des étudiants. Son « crime » ? Avoir dit en anglais le mot « nègre » dans un contexte purement pédagogique et non pas raciste.
Or, le recteur s’est rangé lâchement du côté de ses inquisiteurs. Ce faisant, il a renié le principe fondamental de la liberté académique. Parce qu’elle s’en retrouve lourdement invectivée sur les médias dits sociaux, il a aussi mis sa sécurité en danger.
Nul besoin de se tourner vers l’assassinat crapuleux d’un enseignant en France pour prendre la pleine mesure des dangers d’une telle situation.
En choisissant un « camp » au lieu de protéger son enseignante et d’appeler à un débat respectueux, le recteur polarise jusqu’au corps professoral, divisé en « anti » ou « pro » liberté d’enseignement.
L’université d’ottawa n’est pas la première à sombrer dans la censure, mais rien n’enlève à Jacques Frémont la responsabilité du gâchis actuel. Le minimum serait de s’excuser ou de démissionner.
CANARI DANS LA MINE
Pourquoi s’intéresser à cette histoire ?
Parce qu’elle nous concerne tous. Elle est l’énième symptôme d’une polarisation croissante des débats publics en Occident. D’autant plus nourrie sous l’ère trumpienne.
Sa première victime est notre liberté de pensée et d’expression. Dès qu’il y a controverse, sur les médias dits sociaux, le noir et blanc évacue toute zone de gris. L’insulte et la grossièreté servent d’arme létale à faire taire.
On aurait cru que les universités résisteraient aux vindictes du jour.
Que tous leurs dirigeants choisiraient d’alimenter les débats, audacieux, éclairés et éclairants. Quelle illusion !
Interviewée par la journaliste Isabelle Hachey dans La Presse, la professeure Verushka Lieutenant-duval confirme qu’elle subit les pires affres. Dans les médias sociaux, on la traite de raciste et de fucking frog méritant d’être envoyée dans un camp de rééducation. Maoïste ou stalinien ? On ne le dit pas…
NOMMER LES CHOSES
Honte à Jacques Frémont de l’avoir jetée en pâture à ses accusateurs au lieu de l’en rescaper. Le premier ministre François Legault dénonce avec raison sa « police de la censure ». Idem au PQ et chez Québec solidaire. Dominique Anglade, cheffe du PLQ, met le doigt sur le bobo.
« Il faut nommer les choses, lancet-elle. C’est comme ça qu’on grandit collectivement. […] Sinon, on va être pris entre des positions extrêmes et on sera incapable de fonctionner, comme c’est le cas à l’université d’ottawa. »
Bref, on doit résister à la polarisation montante au lieu de la nourrir, comme le fait Jacques Frémont. En avril 2019, en entrevue à La Rotonde, journal de sa propre université, fort ironiquement, il faisait pourtant le même constat.
« Ce que je redoute, disait-il alors, c’est la polarisation des discours. Si tu n’es pas complètement d’une opinion, tu es complètement contre. […] On voit des communautés qui monologuent au lieu de dialoguer. S’il y a un lieu où les francs dialogues doivent se produire, c’est en milieu universitaire. […] Il faut que ça brasse un peu. Il ne faut pas céder au cynisme ambiant. »
Le Jacques Frémont de 2020 devrait relire celui de 2019. Et ça presse.