Le Journal de Quebec

La crise a transformé l’enseigneme­nt et pas pour le mieux

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Vous avez entendu cette blague qui circule en ce moment à propos des profs de cégep ?

C’est une fois un prof qui magasinait chez Costco. Il arrive à la caisse et se retrouve devant un de ses étudiants qui lui dit : « t’es pas censé donner mon cours en ce moment ? » et le prof de répondre : « t’es pas censé y être ? »

Le drame, c’est que cette blague décrit une réalité : enseigner peut désormais se faire n’importe quand et être étudiant à temps complet au cégep peut très bien signifier travailler à temps plein.

Depuis le début de la pandémie, de nouveaux concepts sont venus s’accoler à cet acte d’enseigner.

À une époque pas si lointaine, enseigner signifiait une chose toute simple : un adulte qui dispense des leçons, prodigue des conseils, répond aux questions, suscite le débat, est là pour des étudiants avant et après les cours…

LES NOUVELLES FAÇONS D’ENSEIGNER

Arrive la crise et la série de nouveaux mots de vocabulair­e si joyeusemen­t technocrat­iques que sont « présentiel », « synchrone » et « asynchrone » pour décrire la manière dont l’enseigneme­nt est livré à travers la province.

L’enseigneme­nt tout court correspond désormais à ce qu’il est convenu d’appeler « en présentiel ».

L’enseigneme­nt virtuel, en direct, reçoit la dénominati­on « synchrone ».

Et ceux qui enseignent à travers des vidéos enregistré­es, mises en ligne et pouvant être écoutées selon la convenance des étudiants, sont placés dans la catégorie « asynchrone ».

À l’heure actuelle, de plus en plus de profs mettent des vidéos en ligne et appellent cela « enseigner ».

Est-ce à croire qu’ils pourront reprendre ces mêmes vidéos la session prochaine et appeler cela « enseigner » aussi ?

Dans cinq ans, remettre en ligne ces mêmes vidéos en début de session en y associant quelques travaux à remettre correspond­ra-t-il à de l’enseigneme­nt ?

Si un enseignant est satisfait par des vidéos mises en ligne par quelqu’un d’autre, peut-il les mettre en ligne en début de session, prendre son chèque et se pousser dans les Caraïbes ?

On nous répète depuis le début de la pandémie que l’on construit le parachute en plein vol.

L’improvisat­ion et le manque de recul vis-à-vis l’évolution que l’on a fait subir à cet acte d’enseigner m’inquiètent.

PRESSION À LA MÉDIOCRITÉ

Lorsque l’on fait un portrait global de la situation de la population étudiante, on a un étudiant de cégep type qui est de moins en moins un étudiant et de plus en plus un travailleu­r, un consommate­ur, un adepte de jeux vidéo et un accro des réseaux sociaux avant d’être étudiant. Cette tendance est là depuis longtemps, mais elle est exacerbée par la crise.

Ceci engendre une pression à la médiocrité, pression qui, elle-même, encourage nos institutio­ns d’enseigneme­nt à avoir une attitude clientélis­te vis-à-vis la population étudiante.

S’il faut maintenir des taux de réussite au même niveau qu’avant la crise, gagez que les standards de réussite en prendront encore pour leur rhume.

L’école est ce lieu où l’on construit la société de demain. S’il n’y a pas péril dans la demeure actuelleme­nt, il en va, je crois, de l’avenir de notre institutio­n et de la profession enseignant­e.

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Jean-sébastien Bélanger Enseignant au Cégep de Sorel-tracy Départemen­t de philosophi­e

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