Le Journal de Quebec

La retraite à 40 ans, recette du désastre

- Jean-denis Garon jean-denis.garon@quebecorme­dia.com Jean-denis Garon est professeur à L’ESG UQAM

J’ai peine à comprendre l’engouement pour la retraite à 40 ans. Une théorie futile où on nous explique, fort savamment, qu’il est possible de se bâtir un gros coussin d’argent en mangeant des boîtes de thon et du pain tranché (il paraît qu’on s’habitue).

Si vous avez 39 ans et que vous êtes blasé par votre emploi, je comprends votre sympathie pour ce genre de projet. Pour vous, il est trop tard. Mais pour les jeunes, c’est un projet tellement triste sur le plan humain…

Pour se la couler douce à 40 ans, il faut se préparer très tôt. Précisémen­t à l’âge où on apprend aux jeunes à être ambitieux, à investir dans leurs connaissan­ces et à devenir les leaders de demain.

« BURN-OUT » PROGRAMMÉ

C’est ça, exactement ça, qui fait pleurer mon coeur de professeur.

Comment pourrais-je expliquer à mes étudiants de 20 ans qu’il faut étudier fort et se dépasser pendant encore quatre grosses années… Et en même temps leur dire de planifier leur sortie du marché du travail. De concentrer toute leur ambition sur la seule recherche du loisir.

Vous pensez vraiment qu’ils voudront avoir A+ à l’école ? Qu’ils passeront leurs 17 années de carrière à innover, performer, monter les échelons ? Qu’ils fonderont des entreprise­s ?

LA LIBERTÉ FINANCIÈRE

Comprenons-nous bien. Je pense qu’il faut épargner dès son plus jeune âge. Oui, avoir un gros coussin est une source incroyable de liberté. Mais la retraite… vraiment ? Imaginez si tous ceux qui étaient libres financière­ment n’avaient que la retraite en vue.

Louis Audet aurait déjà vendu Cogeco et on perdrait un siège social. Pierre Karl Péladeau se la coulerait douce au Brésil. Jacques Parizeau n’aurait pas fait de politique. François Legault aurait une maison mobile en Floride. Belle philosophi­e. Belle société. Bel exemple.

CONTRIBUER AUTREMENT ?

À ce que je viens d’écrire, un « jeune retraité » m’a déjà rétorqué « qu’il y avait d’autres façons de contribuer à la société que de travailler de huit à quatre ». Je peux faire du bénévolat, dira l’étrange animal. Je « contribue autrement ».

Eh bien non. D’abord, parce que pour empiler autant d’argent, t’avais un emploi payant. T’étais productif. T’as des études. Alors, lâche le bénévolat, travaille, et donne à Centraide.

La meilleure, mais vraiment la meilleure, c’est quand le « jeune retraité » te répond que « son capital travaille ». Euh… c’est aussi vrai pour la famille royale britanniqu­e. Ton capital, garçon, il est capable de travailler pendant que tu rentres au bureau.

BOUGONS ET FIERS DE L’ÊTRE

C’est faux, aussi, parce qu’on vit dans un « système » économique moderne. Dans ce système, les jeunes contribuen­t aux pensions des vieux. Les riches financent l’aide aux plus pauvres. Les adultes paient l’éducation des enfants. Les travailleu­rs paient l’assurance-emploi des moins chanceux. Les gens en santé financent les soins aux malades.

Tu l’as pas choisi, ce système : pas plus que moi. Ça s’appelle un héritage. Et un héritage, on l’améliore, on ne le dilapide pas. C’est pour ça qu’on paie des taxes, qu’on travaille et qu’on prend nos responsabi­lités. Pas parce qu’on se lève le matin et qu’on est excité de rentrer au bureau.

Mais bon, prends-là donc ta retraite, à 40 ans. Vis sur mon bras. Ça me fait plaisir : c’est ma tournée. Mais garde-toi une gêne : ne publie donc pas de livre là-dessus. Parce que si toute la crème de la société fait comme toi, y’aura plus personne pour te soigner quand tu tomberas malade.

Si toute la crème de la société fait comme toi, y’aura plus personne pour te soigner quand tu tomberas malade

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