Les souffrances invisibles
La pandémie ne cesse d’exposer les multiples fêlures qui, depuis des années, minent gravement notre système de santé. Cette fois-ci, l’alarme sonne en réaction à l’horreur de la folie meurtrière qui, le soir de l’halloween, déferlait sur le Vieux-québec.
Les enquêtes diront si cette tragédie aurait pu être évitée ou non par un suivi psychiatrique de l’accusé. Elle oblige néanmoins le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, à devancer son annonce d’un ajout de 100 millions $ en santé mentale pour 2020-2021.
Après des décennies de désinvestissement chronique, voilà certes une bonne nouvelle. Le problème est toutefois que ce nouveau montant ne serait pas récurrent. Les besoins sont pourtant immenses.
Près de 16 000 Québécois attendent toujours pour du soutien psychologique ou psychiatrique au public.
Ceux qui finiront par en avoir auront attendu de 6 à 24 mois. Une éternité intenable apte à multiplier les drames humains.
La crise sanitaire et l’isolement qu’elle impose font grimper d’autant les cas de détresse. Même avant la pandémie, les experts dénonçaient déjà l’état lamentable de « parent pauvre » qu’est la santé mentale dans le réseau public.
Les psychologues y étant sous-payés, une forte majorité d’entre eux travaillent au privé. Pour y avoir accès, il faut donc en avoir les moyens financiers.
Or, à 120 $/l’heure ou plus, de nombreuses personnes se voient obligées de vivre leur détresse sans soutien médical ou suivi actif. Ce système à « deux vitesses », modulé selon les revenus du patient, est une injustice criante.
PLUSIEURS « PARENTS PAUVRES »
Les « parents pauvres » du régime public, il en pleut au Québec : CHSLD, DPJ, déficience intellectuelle, santé mentale, soins à domicile, etc. Là-dessus, je persiste et signe. Au fil des 25 dernières années, une culture de négligence envers les personnes vulnérables s’est installée.
En 2020, la pandémie oblige le gouvernement Legault à tenter de réparer une partie des pots cassés, mais il devra aller plus loin. La santé mentale fait partie des « parents pauvres » les plus invisibles.
Un genou déboîté se voit mieux que la détresse psychologique ou des troubles psychiatriques. Ces souffrances sont aussi réelles, mais beaucoup plus discrètes. Elles ne font pas de bruit. Elles ne saignent pas.
LA RAMQ DEVRAIT SUFFIRE
Elles font cependant beaucoup de dommages. La violence qu’elle provoque est souvent intérieure et silencieuse. Elle ne se retourne contre les autres que très, très rarement.
Parce que la détresse psychologique endommage de nombreuses vies et par ricochet, la société dans son ensemble, la psychothérapie et la psychiatrie devraient être couvertes par le régime public d’assurance-maladie. Point.
Ne pas le faire comporte sûrement un coût social et financier supérieur à l’investissement public nécessaire pour une offre élargie et équitable en santé mentale.
La dépression, l’anxiété, le stress post-traumatique, les idées suicidaires ou les maladies psychiatriques ne se limitent pas aux salons douillets des mieux nantis. Loin s’en faut.
C’est pourquoi l’accès à des soins psychologiques ou psychiatriques rapides et de qualité ne devrait plus jamais dépendre de notre carte de crédit. Notre carte de la RAMQ devrait suffire amplement.