Une communauté qui souffre
Les habitants du village de Manawan déplorent être isolés et privés de systèmes de santé et d’éducation décents
MANAWAN | Joyce Echaquan, cette femme attikamek, morte dans des circonstances troublantes à l’hôpital de Joliette en septembre, vient d’une communauté oubliée. Accès difficile, demeures insalubres, ressources limitées en santé, décrochage scolaire, racisme... le village de Manawan se relève lentement de la mort d’une des leurs et n’accepte plus d’être ignoré.
« Oubliée, mise à l’égard, ignorée… », le chef Paul-émile Ottawa en a assez d’attendre après les différents paliers de gouvernement pour faire évoluer sa communauté.
À la fin octobre, Le Journal est allé passer quelques jours dans ce village situé à quatre heures de route au nord de Montréal.
Dans le cadre de ce reportage de six pages, nous avons pu nous entretenir avec des habitants de Manawan qui ont connu
Joyce.
INSULTÉE À L’HÔPITAL
Cette mère de sept enfants, hospitalisée à Joliette, avait publié une vidéo bouleversante sur Facebook dans les heures précédant sa mort, où on pouvait entendre une infirmière l’insulter.
Nous avons également parlé à des élus locaux et des intervenants en santé et en éducation, notamment. Selon plusieurs d’entre eux, la promiscuité demeure le principal enjeu de la communauté attikamek.
« Si on enraye la pénurie du logement, la qualité de vie serait considérablement améliorée. Au niveau de la santé, il y aurait un impact positif. Au niveau de l’éducation, les jeunes seraient beaucoup mieux suivis avec leurs parents, plus structurés », énumère le vice-chef de Manawan, Sipi Flamand.
MAINTENANT OU JAMAIS
Manawan est située dans la région de Lanaudière, à 86 kilomètres au nord de Saint-michel-des-saints.
Mais la route pour s’y rendre, non asphaltée et sinueuse, donne l’impression d’une communauté beaucoup plus éloignée.
Les membres souhaitent voir du bitume sur la chaussée, bien sûr, mais aussi des maisons se bâtir, des élèves assis sur les bancs d’école et des services en santé mentale.
Le conseil de bande et la communauté estiment avoir été assez patients envers les dirigeants. Trop patients.
Encore ébranlés par la tragédie qui a enlevé la vie de Joyce, ils veulent maintenant être écoutés et compris.
« Si les travaux majeurs de construction [école, route, maisons] ne sont pas commencés en 2021, je ne me représente plus. Je m’en vais. J’aurai tout essayé », lance sans hésiter le chef Paul-émile Ottawa.
Pour Thérèse Quitish, une aînée très respectée dans ce village où elle est née, voir les jeunes sombrer dans l’alcool et la drogue lui donne le vertige.
BEAUCOUP DE SOUFFRANCE
« C’est ma communauté, j’y tiens à ma communauté, je veux aider les gens d’ici. Je vois beaucoup de souffrance », souffle-t-elle.
Habituée à travailler avec les détenues autochtones du pénitencier pour femmes de Joliette, Mme Quitish a présenté six projets au Conseil de bande, dont un qui vise à renseigner les aînés sur les enjeux sociaux vécus par leurs petits et arrière-petits-enfants.
Alice Echaquan croit quant à elle que si sa cousine Joyce avait été en mesure de dire aux infirmières si elle souffrait ou non, elle aurait sûrement mentionné ceci :
« Je veux plus de services pour mon mari, mes enfants, je veux qu’ils soient vus et je veux qu’on se préoccupe de ma nation et de ses besoins, car il y a tellement de secrets familiaux que nous n’osons pas aborder et nous sommes prisonniers de ce gouvernement. Nous sommes seuls dans nos communautés et on souffre. »