La comédie d’erreurs du DPCP
Imaginez un pays où un ancien vice-président serait relaxé d’accusations de fraudes parce qu’on n’arrive pas à lui faire de procès. On se taperait sur les cuisses à se moquer de cette république de bananes.
C’est pourtant ce qui est arrivé au Québec avec l’avortement du procès de Nathalie Normandeau et de ses coaccusés. Et tout le monde a semblé trouver ça normal, car on est habitué à la comédie d’erreurs qu’interprète le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) depuis sa création.
Dernier gag du vaudeville, l’actuelle DPCP, Annick Murphy, annonçait mardi qu’elle partait à la retraite un an avant la fin de son mandat, « pour aller voir ailleurs si j’y suis », disait-elle, le jour de l’élection américaine.
INDÉPENDANCE
Le DPCP a été créé sous Jean Charest en 2007. L’administration de la justice devait être dépolitisée. Le patron des procureurs qui mènent les poursuites criminelles ne serait plus un politicien. On voulait accroître leur indépendance.
Le ministre de la Justice porte donc toujours le titre de procureur général, mais on l’a vidé de la substance. Il ne supervise plus les procureurs de l’état, c’est le DPCP qui fait ça.
Le résultat n’est pas reluisant. Les bavures se multiplient et pas seulement à cause de l’arrêt Jordan.
COUACS EN SÉRIE
Avant de nommer une nouvelle personne, ce serait bien de dresser le bilan de cette institution encore jeune
Ainsi, en 2014, il a fallu que l’opinion publique rugisse pour qu’on mette en accusation un policier qui avait tué un enfant en roulant à 120 km/h dans une zone de 50.
En 2015, un juge a sévèrement blâmé le DPCP pour avoir omis de transmettre l’entièreté de la preuve de l’enquête Sharqc à cinq Hells Angels accusés de meurtre en prononçant l’arrêt des procédures contre eux. Après une enquête interne, Annick Murphy a conclu que son organisation n’avait rien à se reprocher.
En 2017, c’est à la demande du DPCP qu’on met fin aux procédures contre quatre complices de Gilles Vaillancourt dans l’enquête « Honorer ». Les procureurs considéraient eux-mêmes qu’on avait trop attendu pour les juger.
La même année, le DPCP est sévèrement blâmé par un juge ordonnant l’arrêt des procédures portant sur des infractions environnementales d’entreprises jetant des sols contaminés sur des terres agricoles. On avait changé de procureur trois jours avant le début du procès, mal préparé des témoins et omis de transmettre toute la preuve à la défense.
Ce ne sont ici que quelques exemples choisis de manquements du DPCP. J’en avais encore, mais je manque de place.
BATEAU IVRE
Jusqu’ici, le principal « bénéfice » de la création du DPCP, c’est de faire en sorte que si la justice est mal administrée, personne n’est imputable.
Il fut un temps où c’était différent. Jadis, quand les procureurs l’échappaient, le ministre de la Justice devait se lever en chambre et en répondre, plutôt que de dégager dans la zone du DPCP. C’était un temps où le principe de la responsabilité ministérielle voulait encore dire quelque chose.
Maintenant, ce n’est plus comme ça. On a renforcé l’indépendance des procureurs, c’est vrai, mais au détriment de l’imputabilité et de la transparence. En démocratie, ce n’est pas un gain net.
Dans l’échec ressenti de la lutte à la corruption, on a tantôt blâmé le Parti libéral, le rapport divisé de la Commission Charbonneau et L’UPAC. On a toutefois gardé le DPCP dans un angle mort, alors qu’il n’a manifestement pas davantage fait partie de la solution.
Est-ce un problème de compétences ? Est-ce un problème de gestion ? Manque-t-il de ressources ? On ne sait pas. Parce que personne n’en répond et que Me Annick Murphy n’a pas l’intention d’en parler, avant d’aller voir ailleurs si elle y est. La comédie pourra continuer.
Avant de nommer une nouvelle personne, ce serait bien de dresser le bilan de cette institution encore jeune qu’est le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Il est loin d’être très clair qu’elle nous a bien servi jusqu’à maintenant.