Le Journal de Quebec

La comédie d’erreurs du DPCP

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Imaginez un pays où un ancien vice-président serait relaxé d’accusation­s de fraudes parce qu’on n’arrive pas à lui faire de procès. On se taperait sur les cuisses à se moquer de cette république de bananes.

C’est pourtant ce qui est arrivé au Québec avec l’avortement du procès de Nathalie Normandeau et de ses coaccusés. Et tout le monde a semblé trouver ça normal, car on est habitué à la comédie d’erreurs qu’interprète le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) depuis sa création.

Dernier gag du vaudeville, l’actuelle DPCP, Annick Murphy, annonçait mardi qu’elle partait à la retraite un an avant la fin de son mandat, « pour aller voir ailleurs si j’y suis », disait-elle, le jour de l’élection américaine.

INDÉPENDAN­CE

Le DPCP a été créé sous Jean Charest en 2007. L’administra­tion de la justice devait être dépolitisé­e. Le patron des procureurs qui mènent les poursuites criminelle­s ne serait plus un politicien. On voulait accroître leur indépendan­ce.

Le ministre de la Justice porte donc toujours le titre de procureur général, mais on l’a vidé de la substance. Il ne supervise plus les procureurs de l’état, c’est le DPCP qui fait ça.

Le résultat n’est pas reluisant. Les bavures se multiplien­t et pas seulement à cause de l’arrêt Jordan.

COUACS EN SÉRIE

Avant de nommer une nouvelle personne, ce serait bien de dresser le bilan de cette institutio­n encore jeune

Ainsi, en 2014, il a fallu que l’opinion publique rugisse pour qu’on mette en accusation un policier qui avait tué un enfant en roulant à 120 km/h dans une zone de 50.

En 2015, un juge a sévèrement blâmé le DPCP pour avoir omis de transmettr­e l’entièreté de la preuve de l’enquête Sharqc à cinq Hells Angels accusés de meurtre en prononçant l’arrêt des procédures contre eux. Après une enquête interne, Annick Murphy a conclu que son organisati­on n’avait rien à se reprocher.

En 2017, c’est à la demande du DPCP qu’on met fin aux procédures contre quatre complices de Gilles Vaillancou­rt dans l’enquête « Honorer ». Les procureurs considérai­ent eux-mêmes qu’on avait trop attendu pour les juger.

La même année, le DPCP est sévèrement blâmé par un juge ordonnant l’arrêt des procédures portant sur des infraction­s environnem­entales d’entreprise­s jetant des sols contaminés sur des terres agricoles. On avait changé de procureur trois jours avant le début du procès, mal préparé des témoins et omis de transmettr­e toute la preuve à la défense.

Ce ne sont ici que quelques exemples choisis de manquement­s du DPCP. J’en avais encore, mais je manque de place.

BATEAU IVRE

Jusqu’ici, le principal « bénéfice » de la création du DPCP, c’est de faire en sorte que si la justice est mal administré­e, personne n’est imputable.

Il fut un temps où c’était différent. Jadis, quand les procureurs l’échappaien­t, le ministre de la Justice devait se lever en chambre et en répondre, plutôt que de dégager dans la zone du DPCP. C’était un temps où le principe de la responsabi­lité ministérie­lle voulait encore dire quelque chose.

Maintenant, ce n’est plus comme ça. On a renforcé l’indépendan­ce des procureurs, c’est vrai, mais au détriment de l’imputabili­té et de la transparen­ce. En démocratie, ce n’est pas un gain net.

Dans l’échec ressenti de la lutte à la corruption, on a tantôt blâmé le Parti libéral, le rapport divisé de la Commission Charbonnea­u et L’UPAC. On a toutefois gardé le DPCP dans un angle mort, alors qu’il n’a manifestem­ent pas davantage fait partie de la solution.

Est-ce un problème de compétence­s ? Est-ce un problème de gestion ? Manque-t-il de ressources ? On ne sait pas. Parce que personne n’en répond et que Me Annick Murphy n’a pas l’intention d’en parler, avant d’aller voir ailleurs si elle y est. La comédie pourra continuer.

Avant de nommer une nouvelle personne, ce serait bien de dresser le bilan de cette institutio­n encore jeune qu’est le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales. Il est loin d’être très clair qu’elle nous a bien servi jusqu’à maintenant.

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Annick Murphy
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