UNE CULTURE PHILANTHROPIQUE DE MIEUX EN MIEUX ÉTABLIE
On pourrait croire que, dans son sillage, la pandémie a refroidi les ardeurs philanthropiques de plusieurs. Qu’avec les pertes d’emploi et la perspective d’une économie chancelante, le réflexe naturel serait de sabrer le budget de dons. Et pourtant. Plusieurs indices montrent qu’il subsiste une volonté de faire preuve de générosité et que les tendances qui s’installaient avant sont appelées à se consolider.
Un indice de générosité à la baisse
Depuis maintenant 12 ans, la firme Épisode, spécialisée en conseil stratégique dans le domaine de la philanthropie, publie tous les deux ans son Étude sur
les tendances en philanthropie. Dans ce cadre, elle a établi un indice de générosité, qui permet de connaître les variations des dons effectués au Québec et dans l’ensemble du Canada. Depuis 2013, au Canada, cet indice était stable, à 0,007, soit 0,70 $ par tranche de 100 $ de revenus bruts. Cette année, il a glissé à 0,005. Au Québec, l’indice de générosité est passé de 0,004 en 2018, à 0,003.
Le nombre de donateurs a aussi chuté, passant de 61 % à 46 % au Québec et de 64 % à 48 % entre 2018 et 2020. En contrepartie, ceux qui ont donné ont versé, en moyenne, un montant moyen plus élevé cette année, soit 716 $, un bond de 85 $ par rapport aux sommes enregistrées en 2018. Au Québec, le don moyen est passé de 338 $ à 410 $ sur la même période. Fait encourageant : en dépit de l’incertitude qui plane sur l’économie, près de la moitié des Québécois ont prévu de maintenir la part de leur budget accordée à la philanthropie, contre un peu plus de 20 % qui envisagent de le réduire.
Si la crise perdurait, ils réduiraient d’autres dépenses, comme celles associées à l’habillement, aux produits technologiques, aux projets de rénovation, à la culture et au divertissement, avant de couper dans leurs dons aux organismes de bienfaisance. La générosité passe donc bien avant le matériel pour une bonne tranche de la population, signe qu’une culture philanthropique s’est bien installée et qu’elle résiste.
Une affaire de générations
Il est évident que chaque génération est bien décidée à mettre l’épaule à la roue pour contribuer à la justice sociale et à l’équité. Certes, les boomers et les matures, mieux nantis, contribuent nettement plus que les autres générations. Mais les plus jeunes s’engagent aussi, à la hauteur de leurs moyens. Pour le moment, ils ont été fortement touchés par les mises à pied et ont vu leurs revenus fondre rapidement. Mais c’est temporaire.
Les organismes n’auront pas le choix d’adapter leurs stratégies pour interpeller tout ce beau monde. Si les généra
tions plus âgées privilégient des canaux plus traditionnels, comme le publipostage, la relève se trouve pour sa part sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux.
Les façons les plus populaires de donner demeurent la sollicitation d’un proche et l’achat d’un produit associé à une cause. Les événements et les défis, bien qu’ils aient été mis en veilleuse cette année, ont encore la cote. « C’est ce qui continue d’être populaire. Les gens ont hâte de renouer avec les événements de type défi grand public, souligne Daniel Asselin, président-directeur général d’épisode. Ils ont hâte d’être là, de faire un défi. C’est le genre d’approche qui rassemble différentes générations. L’événementiel va revenir en force, c’est évident. »
Des causes à surveiller
En 2020, plusieurs causes de première ligne ont été mises de l’avant à cause des effets de la pandémie. On a beaucoup parlé d’insécurité alimentaire, de santé mentale, de soins de santé, de l’aide aux personnes âgées… « Du côté des banques alimentaires, les grands donateurs ont contribué de façon significative, tandis que du côté de la santé mentale, les gouvernements ont consenti des investissements importants à plusieurs organismes en santé mentale au cours de la même année, rappelle M. Asselin. Du jamais vu en 35 ans. »
Étonnamment, les fondations hospitalières ont été durement frappées. « Elles s’appuient beaucoup sur l’événementiel pour financer leur mission, rappelle M. Asselin. Elles sont donc privées d’un important apport. On peut croire qu’il y aura un retour à la normale. La santé reste toujours au haut du pavé. »
Et l’environnement ? La cause fait tranquillement son chemin. Elle est populaire chez les jeunes, mais leur portefeuille est plus restreint. « Mais c’est une question de temps. Nous faisons une lecture très angoissante de ce qui se passe avec l’environnement, souligne M. Asselin. Les jeunes qui sont sensibles à la cause verront leurs moyens s’accroître au fil du temps. Nous nous rapprochons d’un changement important de la configuration de l’assiette philanthropique pour l’environnement. C’est à suivre. »
S’il est vrai que 2020 et sans doute 2021 marqueront un hiatus dans l’évolution de l’industrie philanthropique du Québec et d’ailleurs, on peut raisonnablement croire que les perspectives demeurent positives pour l’avenir. Les joueurs du secteur entreprendront un ménage devenu nécessaire et se structureront. Il faut aussi poursuivre les efforts d’éducation et de sensibilisation qui sont faits depuis les 40 dernières années. « En philanthropie, ce qui est gagnant, c’est la persévérance, rappelle Daniel Asselin. C’est d’être là encore et encore, d’en parler, de développer la culture philanthropique, d’augmenter l’assiette de dons au Québec et au Canada. C’est d’être fiers de nos organismes. »