Le Journal de Quebec

À propos de la crise de l’assurance dans les copropriét­és

- Daniel Germain

L’accès à l’assurance n’arrête pas de se resserrer sur le marché de la copropriét­é. Il y a longtemps déjà que la situation est problémati­que, et elle n’a pas cessé d’empirer.

Maintenant, c’est grave.

Des syndicats de copropriét­é ont toute la misère du monde à trouver des assureurs pour protéger leur immeuble. Certains n’y parviendra­ient même pas.

C’est Yves Joli-coeur qui tire la sonnette d’alarme, encore. Le médiatique avocat spécialisé dans les affaires de copropriét­és est exaspéré. Il s’échine depuis des années pour que ce marché gagne en profession­nalisme. Malgré d’importants progrès, notamment sur le plan réglementa­ire, il trouve que ça n’avance pas assez vite.

« Ce que je vois sur le terrain me préoccupe », dit-il.

Son travail l’a encore amené, récemment, au chevet d’organisati­ons mal en point, des syndicats de copropriét­é qui ne savent plus à quel saint se vouer. Il affirme avoir constaté près d’une dizaine d’immeubles qui n’avaient plus aucune protection d’assurance.

Résultats : des logements qui, virtuellem­ent, ne valent plus rien. Quelle institutio­n financière voudrait consentir un prêt hypothécai­re pour l’achat d’un appartemen­t qui peut s’envoler en fumée ?

Quant à leurs propriétai­res, ils risquent de se retrouver sur la paille.

UNE TEMPÊTE PARFAITE

Pourquoi en sommes-nous rendus là ? On parle de toute une soupe, les amis ! Ça mijote depuis trop longtemps, et ça ne sent pas très bon : des années de retard dans la mise à niveau du cadre réglementa­ire, l’insoucianc­e de copropriét­aires, l’incompéten­ce de syndicats, la piètre qualité de certaines constructi­ons (parfois dans des zones inondables), des ingrédient­s auxquels s’ajoutent aujourd’hui des pressions accrues sur l’industrie de l’assurance à l’échelle mondiale.

À force de maintenir les « frais de condo » le plus bas possible, donc d’entretenir au minimum les bâtiments, des syndicats ont dû multiplier les réclamatio­ns à la suite de dégâts de toutes sortes. Parfois, cela n’a rien à voir avec leur gestion, des problèmes récurrents frappent certains immeubles récents minés par des vices de constructi­on.

On comprend les assureurs de déchanter. Ils sont quelques-uns, d’ailleurs, à avoir déserté ce secteur qui offre peu d’espoir de rentabilit­é. La concurrenc­e s’effrite.

« Ce n’est pas un marché facile, et pas juste dans la copropriét­é. L’assurance de dommages en général a subi une cascade d’événements et a dû faire face à de nombreuses réclamatio­ns ces dernières années. Je vais vous dire, dans l’industrie, il n’y a personne qui ne croit pas aux changement­s climatique­s », explique le courtier en assurance Vincent Gaudreau.

Cela se reflète entre autres dans la tarificati­on. Le contexte n’est favorable pour personne, tout le monde constate des hausses de primes habitation depuis deux ans.

Dans un marché comme celui de la copropriét­é, où les réclamatio­ns en dommages sont en hausse indépendam­ment des catastroph­es naturelles, les effets sont plus flagrants.

C’est pire encore pour les copropriét­és qui traînent derrière elles un lourd historique de sinistres, ce sont elles qui peinent le plus à trouver une couverture.

« Oui, j’en ai vu qui se sont retrouvées sans assurance, mais rarement plus d’une semaine, affirme Vincent Gaudreau. J’ai toujours réussi à trouver une solution. »

Mais à quel prix ! Le coût des primes explose, les montants des franchises grimpent, le nombre d’exclusions, en particulie­r tout ce qui résulte des dégâts d’eau, se multiplie.

Des copropriét­aires se trouvent finalement en situation où ils doivent payer pour les sinistres subis par leur immeuble en dépit de grosses primes d’assurance.

Pourquoi ? La plupart des dégâts ne sont plus couverts ou les coûts des dommages ne surpassent pas la valeur de la franchise.

IL FAUDRA ENCORE DES ANNÉES

Le porte-parole du bureau d’assurance du Canada (BAC), Pierre Babinsky, reconnaît la situation.

Les intérêts de son groupe n’ont pas toujours convergé vers ceux de l’avocat Yves Joli-coeur et des gestionnai­res de copropriét­és, il y a des enjeux sur lesquels les clans s’opposent.

Toutefois, les deux s’entendent sur les causes du problème et les solutions pour le régler : des normes relevées dans l’industrie de la constructi­on et une meilleure gestion des immeubles de copropriét­és.

J’en ai déjà parlé ici, la nouvelle loi 16 s’attaque en bonne partie au deuxième élément, notamment par l’imposition des carnets d’entretien et l’obligation pour les syndicats de commander et de se conformer à une étude de fonds de prévoyance.

La loi a été adoptée il y a deux ans. On attend que certains aspects soient précisés par règlement avant que tout ça se mette en branle.

« Il faudra ensuite quelques années avant que les effets de la réforme se reflètent dans une diminution des sinistres, et plus encore dans le coût des primes », avertit Pierre Babinsky.

Voilà pourquoi l’avocat Joli-coeur trépigne et implore Québec : adoptezles, vos règlements !

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