Sous-ministres sous influence ?
L’embauche de hauts fonctionnaires à contrat fait sourciller, mais certains y voient une saine diversité
Le gouvernement caquiste se targue d’avoir nommé des sous-ministres plus redevables en leur octroyant seulement un statut temporaire : une pratique qui divise les experts entre perte d’indépendance de la haute fonction publique et sang neuf aux commandes de l’état.
Le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-barrette, a déclaré au Salon bleu jeudi que « depuis que la CAQ est au pouvoir, il n’y a plus de permanence ».
« Toutes les personnes qui ont été nommées à des postes de sous-ministre le sont de façon temporaire pour s’assurer qu’ils soient redevables devant la population québécoise et qu’ils soient compétents, et surtout, qu’on s’assure qu’ils soient responsables de leur gestion », a-t-il affirmé en réponse aux questions du Parti québécois (PQ).
Il a ensuite précisé que ce statut temporaire s’applique uniquement à ceux qui ne sont pas issus de la fonction publique.
Une petite recension non exhaustive démontre en effet que plusieurs nouveaux venus travaillent désormais dans les hautes sphères des ministères avec seulement un contrat de cinq ans en poche (
« TABLETTÉ »
Pour Denis St-martin, professeur en administration et politiques publiques à l’université de Montréal, ces hauts fonctionnaires avec un contrat à renouveler sont forcément plus perméables aux pressions politiques que les mandarins de l’état qui bénéficient d’une permanence pour les protéger des foudres d’un ministre.
« Ce sont des sous-ministres plus politiquement manipulables que ceux qui ont la permanence », dit-il.
Traditionnellement, un haut fonctionnaire pris en grippe par un ministre peut être « tabletté » dans un organisme obscur, mais il conserve son généreux salaire, qui avoisine les 200 000 $.
« L’indépendance des hauts fonctionnaires est un principe-clé de la bonne gouvernance », dit M. St-martin.
Pourtant, dans la formule prisée par la Coalition avenir Québec (CAQ), ceux-ci « sont sur un siège éjectable, donc incapables de dire la vérité au pouvoir », estime-t-il.
Même son de cloche du côté du leader parlementaire du PQ, Martin Ouellet.
« Si je suis sur un siège temporaire, je dois d’abord satisfaire aux exigences », dit-il.
DÉRIVES DE LA PERMANENCE
Le directeur scientifique de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires n’est pas de cet avis.
« À l’inverse, si on donne des permanences à des nominations partisanes, on vient politiser encore plus la fonction publique », fait valoir Éric Montigny, professeur de science politique à l’université
Laval, à Québec. Par exemple, un libéral de longue date, Pietro Perrino, est devenu fonctionnaire à vie sous le gouvernement Couillard, malgré qu’il ait fait les manchettes pour ses liens avec l’homme d’affaires Luigi Coretti. François Legault avait promis de congédier ce « petit ami libéral », mais a finalement dû reculer en raison de sa permanence.
UN AVANTAGE
Et puis la nomination de sous-ministres à forfait n’est pas nouvelle, même s’il s’agissait auparavant de l’exception.
« Mais si ça devient systématique, ça c’est nouveau. Il faudra en voir les effets », dit M. Montigny. Ce dernier voit d’ailleurs un avantage important à ces nominations qui ne sont pas issues du sérail de la fonction publique : la diversité.
« Un des enjeux de la fonction publique, c’est d’avoir des gens qui sont allés à la même école, note le professeur. […] Donc, avoir de la diversité amène de l’expertise, un regard nouveau sur des problématiques. »
« CE SONT DES SOUS-MINISTRES PLUS POLITIQUEMENT
MANIPULABLES QUE CEUX
QUI ONT LA PERMANENCE »
– Denis St-martin, professeur et chercheur en administration
et politiques publiques