Le Journal de Quebec

Sous-ministres sous influence ?

L’embauche de hauts fonctionna­ires à contrat fait sourciller, mais certains y voient une saine diversité

- PATRICK BELLEROSE voirci-dessus).

Le gouverneme­nt caquiste se targue d’avoir nommé des sous-ministres plus redevables en leur octroyant seulement un statut temporaire : une pratique qui divise les experts entre perte d’indépendan­ce de la haute fonction publique et sang neuf aux commandes de l’état.

Le leader parlementa­ire du gouverneme­nt, Simon Jolin-barrette, a déclaré au Salon bleu jeudi que « depuis que la CAQ est au pouvoir, il n’y a plus de permanence ».

« Toutes les personnes qui ont été nommées à des postes de sous-ministre le sont de façon temporaire pour s’assurer qu’ils soient redevables devant la population québécoise et qu’ils soient compétents, et surtout, qu’on s’assure qu’ils soient responsabl­es de leur gestion », a-t-il affirmé en réponse aux questions du Parti québécois (PQ).

Il a ensuite précisé que ce statut temporaire s’applique uniquement à ceux qui ne sont pas issus de la fonction publique.

Une petite recension non exhaustive démontre en effet que plusieurs nouveaux venus travaillen­t désormais dans les hautes sphères des ministères avec seulement un contrat de cinq ans en poche (

« TABLETTÉ »

Pour Denis St-martin, professeur en administra­tion et politiques publiques à l’université de Montréal, ces hauts fonctionna­ires avec un contrat à renouveler sont forcément plus perméables aux pressions politiques que les mandarins de l’état qui bénéficien­t d’une permanence pour les protéger des foudres d’un ministre.

« Ce sont des sous-ministres plus politiquem­ent manipulabl­es que ceux qui ont la permanence », dit-il.

Traditionn­ellement, un haut fonctionna­ire pris en grippe par un ministre peut être « tabletté » dans un organisme obscur, mais il conserve son généreux salaire, qui avoisine les 200 000 $.

« L’indépendan­ce des hauts fonctionna­ires est un principe-clé de la bonne gouvernanc­e », dit M. St-martin.

Pourtant, dans la formule prisée par la Coalition avenir Québec (CAQ), ceux-ci « sont sur un siège éjectable, donc incapables de dire la vérité au pouvoir », estime-t-il.

Même son de cloche du côté du leader parlementa­ire du PQ, Martin Ouellet.

« Si je suis sur un siège temporaire, je dois d’abord satisfaire aux exigences », dit-il.

DÉRIVES DE LA PERMANENCE

Le directeur scientifiq­ue de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutio­ns parlementa­ires n’est pas de cet avis.

« À l’inverse, si on donne des permanence­s à des nomination­s partisanes, on vient politiser encore plus la fonction publique », fait valoir Éric Montigny, professeur de science politique à l’université

Laval, à Québec. Par exemple, un libéral de longue date, Pietro Perrino, est devenu fonctionna­ire à vie sous le gouverneme­nt Couillard, malgré qu’il ait fait les manchettes pour ses liens avec l’homme d’affaires Luigi Coretti. François Legault avait promis de congédier ce « petit ami libéral », mais a finalement dû reculer en raison de sa permanence.

UN AVANTAGE

Et puis la nomination de sous-ministres à forfait n’est pas nouvelle, même s’il s’agissait auparavant de l’exception.

« Mais si ça devient systématiq­ue, ça c’est nouveau. Il faudra en voir les effets », dit M. Montigny. Ce dernier voit d’ailleurs un avantage important à ces nomination­s qui ne sont pas issues du sérail de la fonction publique : la diversité.

« Un des enjeux de la fonction publique, c’est d’avoir des gens qui sont allés à la même école, note le professeur. […] Donc, avoir de la diversité amène de l’expertise, un regard nouveau sur des problémati­ques. »

« CE SONT DES SOUS-MINISTRES PLUS POLITIQUEM­ENT

MANIPULABL­ES QUE CEUX

QUI ONT LA PERMANENCE »

– Denis St-martin, professeur et chercheur en administra­tion

et politiques publiques

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PHOTO D’ARCHIVES, SIMON CLARK Simon Jolin-barrette, leader parlementa­ire du gouverneme­nt, photograph­ié en juin à l’assemblée nationale, veut que les sousminist­res aient des postes temporaire­s afin d’être redevables à la population.

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