Le dédain de notre langue
Dans la métropole, le français meurt à petit feu dans l’indifférence des jeunes de moins de 35 ans. Le sondage Léger- Le Journal indiquait hier que 58 % des jeunes se fichent bien qu’on leur offre des services en français dans les commerces de tous genres.
Précisons que chez ces jeunes, 84 % sont anglophones, mais 26 % sont francophones. L’on comprend alors pourquoi ces derniers adoptent le franglais. Quant aux jeunes anglophones du Québec, ne comptons pas sur eux pour trouver des vertus à vivre dans un Québec français.
Contrairement à la manchette du Journal d’hier, je ne crois pas qu’il s’agisse d’indifférence de la part de l’ensemble des jeunes, mais plutôt d’une espèce de dédain vis-à-vis d’une langue dépassée, identifiée à une cause perdue à leurs yeux. Une langue plutôt inutile. Rattachée à une culture qui les empêche, croient-ils, d’entrer de plain-pied dans leur monde où l’intelligence est désormais artificielle. Un monde sans frontières, sans barrières, dont la langue, l’anglais, ouvre toutes les portes.
Quels arguments avons-nous pour ranimer la flamme vacillante du français en perte de jeunes locuteurs ? Comment trouver les mots pour atteindre non pas le coeur des jeunes, mais leur âme, car ils vibrent déjà au rythme de la musique en anglais, de la quincaillerie technologique et de la créativité futuriste ?
DÉPOSSESSION
Comment démontrer que la perte de la mémoire culturelle en français, de l’histoire collective, de la connotation affective des mots transmis à travers la langue maternelle est une dépossession de soi et un abandon de nos liens collectifs ?
À l’évidence, on n’arrête pas le progrès. Pourtant, les jeunes devraient comprendre qu’ils sont de passage dans la jeunesse. Et que la perte de leur langue maternelle, laquelle est enracinée depuis des siècles dans le vaste territoire qu’est le Québec, les rendra démunis quand il leur faudra transmettre à leur tour les acquis de leur filiation.
Un sondage aussi déprimant que celui publié hier dans nos pages ne peut qu’accentuer l’accablement des générations antérieures. Devant les jeunes, il faut taire les combats que nous avons jadis menés, car cela suscite chez eux une irritabilité incontrôlable.
À Montréal, il y a 50 ans, avec mes camarades étudiants nous avons passé des mois à occuper des restaurants de la rue Sainte-catherine Ouest qui refusaient de nous servir en français. Nous quittions les lieux lorsque la direction,
exaspérée, appelait la police.
RECUL HUMILIANT
Comment pouvait-on prédire que les batailles inlassables que nous avons gagnées au bout de plusieurs mois, restaurant après restaurant, seraient perdues avec le recul indéniable, humiliant et peut-être irréversible du français en 2020 ?
Est-ce la pandémie qui nous enlève toute énergie devant un fait brutal quant à l’avenir ? Montréal n’est plus majoritairement une ville française.
À part les nombreux anglophones et allophones anglicisés, indifférents, ceux-là, face à l’avenir du français, il faut désormais tenir compte d’une proportion énorme de jeunes francophones.
Mais qu’enseigne-t-on sur la langue entre les quatre murs des classes du Québec? Sans doute, comme pour le reste, transmet-on une vision relative où tout est égal à tout, où le présent est confondu avec l’avenir et où il faut cesser de croire que notre maître est le passé.
Le français : les sanglots longs de l’automne.