Un débat national grâce à notre enquête
Si le débat sur le déclin et l’avenir de la langue française au Québec a occupé tant de place lors de la dernière semaine, ce n’est pas un hasard. C’est directement grâce au travail de notre Bureau d’enquête.
Vous avez pu lire, le week-end dernier, une série de reportages de notre journaliste, Marie-lise Mormina, à propos de la langue d’accueil et de service dans les commerces du centre-ville de Montréal.
Équipée d’une caméra cachée, notre reporter a pu dégager un constat clair : dans plus d’un commerce sur deux de la rue Sainte-catherine Ouest, elle a été accueillie en anglais seulement.
Oubliez le Bonjour/hi, déjà controversé. C’était tout simplement Hi.
RAZ-DE-MARÉE
Nous savions que nous tenions là un sujet sensible et hautement d’intérêt public, mais nous ne nous attendions pas à un tel raz-de-marée.
La mairesse Valérie Plante s’est déclarée préoccupée « au plus haut point ». Simon Jolin-barrette, le ministre responsable de la Langue française au sein du gouvernement Legault, a promis un plan d’action sur la question du français… qui n’arrivera sûrement pas avant l’an prochain.
À la Chambre des communes, la question linguistique est devenue LE sujet chaud pendant plusieurs jours. Le NPD a fait adopter une motion qui reconnaît que l’usage du français est en déclin au pays. Les conservateurs et le Bloc, à force de questions, ont même forcé le premier ministre Justin Trudeau à reconnaître que « pour que le Canada soit bilingue, le Québec doit d’abord et avant tout être francophone ».
Sans blague, que celles et ceux qui avaient prédit que Justin Trudeau se lancerait dans un appui public à la loi 101 cette année lèvent la main !
Les suites de notre enquête ont surtout permis de révéler à quel point le Parti libéral du Canada est profondément divisé sur la question du français. Je ne parle pas seulement de la maladroite déclaration de la jeune députée de SaintLaurent, Emmanuella Lambropoulos, qui a dû renoncer à son siège au Comité des langues officielles dans la foulée de cette saga.
Il faut aussi voir les propos écrits sur Twitter en septembre par la présidente du PLC pour le Québec, Chelsea Craig. Mme Craig qualifiait la loi 101 d’« oppressive » et déplorait ses impacts sur « l’éducation en anglais dans cette province ».
DÉMARCHE D’ENVERGURE
Pourquoi notre reportage a-t-il eu autant d’impact ? En grande partie, grâce au sérieux et à l’ampleur de la démarche. Notre journaliste a visité pas moins de 61 commerces, dont 31 au centre-ville. De nombreuses adresses ont été visitées plus d’une fois.
Vous vous doutez bien qu’un tel travail s’étend sur plusieurs semaines. Il faut être organisé, minutieux, s’assurer que toutes les conversations ont été captées à la caméra.
Réécouter les enregistrements, consigner tous les résultats dans des tableaux de suivi, donner la parole aux commerces délinquants dans un souci de démarche équitable...
Bref, un travail professionnel qui révèle des faits objectifs, et qui ne repose pas seulement sur une vague impression que le français est mis à mal.
La prochaine fois qu’un débat fait rage entre politiciens, la prochaine fois que vous lirez votre chroniqueur préféré sur un sujet d’intérêt public, demandez-vous d’où provient la matière à la base de ces débats. Il y a de bonnes chances que des journalistes d’enquête soient derrière tout ça.
C’est à la suite des reportages journalistiques qu’on a assisté à la saga sur les liens entre le gouvernement Trudeau et We Charity, dans les derniers mois, ainsi qu’au scandale des commandites, il y a une vingtaine d’années. Sans parler de la commission Charbonneau qui doit sa création, en grande partie, à des enquêtes journalistiques.
Ce sont des débats publics comme ceux-là qui permettent à une société comme la nôtre de progresser. Ça tombe bien, nous avons plein d’autres enquêtes en préparation.