Ottawa doit freiner ses dépenses
Le temps est venu de mieux cibler les besoins pour éviter une dette structurelle, estiment des spécialistes
Le gouvernement canadien a dépensé en neuf mois plus de 225 milliards $ afin de faire face à la pandémie, soit l’un des montants les plus élevés sur la planète. Lejournal a questionné des experts pour savoir si cette générosité tous azimuts était justifiée.
Entre les 70 G$ pour la Prestation canadienne d’urgence et les 65 G$ en subventions salariales d’urgence, les dépenses sont telles qu’« on a perdu le sens des perspectives. Un milliard de dollars en février, c’était énorme, maintenant ça passe inaperçu », souligne le directeur parlementaire du budget (DPB), Yves Giroux.
Son bureau, qui regroupe les analystes financiers et économiques indépendants du Parlement, a perdu le compte des dépenses puisque, depuis la prorogation en août, le gouvernement ne dit plus publiquement combien chacun de ses programmes lui coûte.
Résultat, « les Canadiens ne savent pas à quel point le compteur tourne vite », déplore M. Giroux, alors que c’est eux qui paient la note.
Le gouvernement Trudeau n’a pas présenté de budget depuis près de deux ans, se contentant d’un bref portrait économique en juillet. Une mise à jour plus détaillée des finances de l’état est attendue d’ici le congé des Fêtes.
Un ancien proche collaborateur de Justin Trudeau, maintenant premier vice-président politiques publiques du Conseil canadien des affaires, Robert Asselin, s’inquiète de l’ampleur des dépenses.
« On a ajouté 20 % de notre PIB [produit intérieur brut] à notre déficit en sept mois. C’est plus que tous les autres pays du G20 », dit celui qui a occupé le poste de directeur des politiques et du budget sous l’ex-ministre des Finances Bill Morneau, de 2015 à 2017.
LE PÉTROLE
Mais pour la directrice des politiques économiques provinciales et fiscales à la Banque Scotia, Rebekah Young, « ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose ».
Ex-fonctionnaire à Finances Canada et ancienne membre du conseil de direction du Fonds monétaire international (FMI), elle explique qu’à titre de pays producteur de pétrole, le Canada fait face à un double choc : la pandémie évidemment, mais aussi la chute des prix de l’or noir qui découle de la baisse de la demande, accentuée par le virus. Ottawa doit donc dépenser plus que d’autres pour maintenir la tête hors de l’eau.
Le fédéral a ainsi inclus dans ses dépenses liées à la COVID-19 des programmes pour soutenir l’emploi dans le secteur pétrolier en Alberta.
« MINIMISER LES DOMMAGES »
L’ex-directeur parlementaire du budget aujourd’hui président de l’institut des finances publiques et de la démocratie à l’université d’ottawa, Kevin Page, ne jette pas non plus la pierre au gouvernement.
« On n’observe pas une augmentation du nombre de faillites, tant des ménages que des entreprises. C’est un indice qu’on a réussi à minimiser les dommages, bien que nous faisions face à une récession sévère, de loin la plus sévère depuis la Deuxième Guerre mondiale », analyse-t-il.
EN FONCTION DES REVENUS
Toutefois, tous sont d’avis qu’il est plus que temps de mieux cibler l’aide afin de soutenir ceux qui en ont le plus besoin.
Jusqu’à présent, il y a eu « un laxisme » dans les transferts aux particuliers et aux entreprises, estime M. Asselin.
« On a appliqué des critères universels, alors qu’on aurait pu mieux cibler l’aide en fonction des revenus. »
« Si on dépense de l’argent, en envoyant des chèques à tout le monde, peu importe les revenus, on ne fait pas un bon usage des fonds publics », dit-il.
Cette réflexion s’applique également aux achats colossaux effectués par le gouvernement. Le Journal a par exemple révélé qu’ottawa avait payé trois fois le prix pour des blouses médicales au printemps dans le cadre d’un contrat de 371,3 millions $ signé sans appels d’offres.