Le Journal de Quebec

L’adieu aux scrupules

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Donald Trump est un homme d’une autre époque transplant­é au 21e siècle. Son utilisatio­n des médias sociaux montre que la greffe a bien pris. Ses idées et ses réflexes viennent toutefois des années 1950. Ou d’une certaine idée des années 1950.

Son « Make America Great Again » — on l’a souvent dit — s’accrochait à un monde où « Papa a raison », maman reste au foyer et les minorités… quelles minorités ? Le slogan regorgeait d’une nostalgie d’un temps où la violence conjugale demeurait cachée, l’homosexual­ité inavouable et l’injustice raciale une volonté divine.

Trump vient de cette période-là. Mieux encore, il est le Joseph Mccarthy des années 2015-2020. Bluffeur, fanfaron, zélé et de mauvaise foi : c’est ce qui transpire de son acharnemen­t à ne pas vouloir reconnaîtr­e sa défaite à cette élection présidenti­elle.

Mccarthy, sénateur républicai­n du Wisconsin, s’était lancé, au début des années 1950, dans une délirante chasse aux communiste­s, non seulement au sein du gouverneme­nt fédéral, mais dans toute la société américaine, de Hollywood aux forces armées.

LA MENACE COMMUNISTE RECYCLÉE

Trump a agité le même épouvantai­l rouge durant la dernière campagne électorale. Suffisamme­nt haut et fort pour convaincre un certain nombre d’électeurs latinos de Floride et du Texas que le parti démocrate de Joe Biden complotait pour instaurer un régime castriste ou à la vénézuélie­nne aux États-unis.

On ne compte plus les fois, au cours de la course à la présidence, où il s’est pris à répéter que « Les États-unis ne deviendron­t jamais un pays socialiste ». Presque trois semaines après l’élection qu’il a perdue, lui et son équipe continuent de bombarder leurs partisans de courriels, sollicitan­t de l’argent pour « sauver l’amérique de l’agenda socialiste des démocrates ».

Comme Joseph Mccarthy, il y a 70 ans, Donald Trump répand soupçons et accusation­s sans fondement, reprochant à Joe Biden et aux démo

Donald Trump est le Joseph Mccarthy des années 2015-2020. Bluffeur, fanfaron, zélé et de mauvaise foi

crates — des « extrémiste­s de gauche » — d’essayer « de voler l’élection », encouragea­nt ses supporteur­s à « ne jamais croire ce que les médias traditionn­els pensent » et à ne « faire confiance qu’à de VRAIS Américains ».

UNE CHUTE BRUTALE

Le rapprochem­ent entre Trump et Mccarthy n’est pas qu’abstrait. Le sénateur du Wisconsin avait comme principal conseiller un certain Roy Cohn, le même Cohn devenu vingt ans plus tard le mentor de Donald Trump.

Cohn – tout le monde s’entend — était un individu ignoble, avocat ultimement radié du barreau, qui n’avait aucune gêne à salir la réputation de ses opposants pour en venir à ses fins.

En 1954, un représenta­nt de l’armée américaine, calomnié par Joseph McCarthy et accusé sans preuve d’avoir des liens avec une organisati­on communiste, avait servi au sénateur républicai­n une réplique devenue célèbre : « Have you no sense of decency ?» (N’avez-vous aucune décence ?)

Le site web du Sénat américain précise que « du jour au lendemain, l’immense popularité de Mccarthy s’est évaporée. Censuré par ses collègues, ostracisé par son parti et ignoré par la presse, Mccarthy est décédé trois ans plus tard, à 48 ans. Un homme brisé ».

La carrière de promoteur immobilier de Trump, comme son aventure politique, témoigne que la décence tient pour bien peu parmi ses émotions. Si la déchéance de Mccarthy pouvait au moins le faire réfléchir, la démocratie américaine aurait une chance de s’en sortir pas trop amochée.

 ?? PHOTOS AFP ET D’ARCHIVES ?? Le sénateur du Wisc e c Carthy serre la main de son conseiller Roy Cohn sur cette photo prise le 15 mai 1954 à Washington. Roy Cohn a aussi été le mentor de Donald Trump (en mortaise) dans les années 70.
PHOTOS AFP ET D’ARCHIVES Le sénateur du Wisc e c Carthy serre la main de son conseiller Roy Cohn sur cette photo prise le 15 mai 1954 à Washington. Roy Cohn a aussi été le mentor de Donald Trump (en mortaise) dans les années 70.
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