Les musées forcés de se réinventer
Les innovations numériques perdureront au-delà de la crise, croit Stéphan La Roche
Depuis le début de la pandémie, les musées ont été désertés. C’est un contraste brutal avec l’année précédente, au cours de laquelle 13,6 millions de passages aux tourniquets ont été enregistrés dans
399 institutions muséales. Si on pouvait déjà accéder à certaines collections dans le confort de son foyer, la pandémie a accéléré l’innovation numérique au point où les musées sont maintenant plus accessibles que jamais, grâce à une série d’initiatives qui perdureront au-delà de la crise. Entretien avec Stéphan La Roche, directeur du Musée de la civilisation. Quels seront les impacts financiers de la crise pour vous ?
Ce sont des impacts financiers importants. Des pertes autour de 1,5 million $ pour nous. On ne vend plus à la billetterie, ni à la boutique, ni au restaurant et ni au vestiaire. Par contre, on a moins de dépenses. Par exemple, avant, les conservateurs se déplaçaient dans d’autres pays pour aller inspecter les objets faisant partie d’expositions internationales qui s’en venaient chez nous, pour s’assurer qu’il n’y ait pas de bris. Maintenant, tout ça peut se faire par caméra numérique. C’est beaucoup moins coûteux et ça prend bien moins de temps. C’est quelque chose qui restera après la pandémie.
Quels seront les changements durables qu’on pourra observer dans nos musées après la pandémie ?
Les musées vont rester des lieux où on accueille physiquement des visiteurs. Le fait d’avoir accès à des oeuvres d’art, à des objets, à des documents en vrai, devant nous, il n’y a rien qui remplace ça. Le numérique, il s’ajoute à ça. En ce moment, ça le remplace, mais après, ça va enrichir l’offre. On a beaucoup mis l’emphase là-dessus dans les derniers mois en créant Une heure au musée, un site qui regroupe le contenu de dix autres organisations culturelles, avec des expositions virtuelles, entre autres. Ça va devenir une programmation parallèle au musée après la pandémie.
Je pense aussi que de pouvoir acheter un billet horodaté, ça va demeurer. On va accueillir les gens qui arrivent de manière impromptue. Mais on va continuer d’offrir aux gens de réserver leur place.
À cause des protocoles sanitaires, la pandémie a complètement changé l’expérience du visiteur, lorsque les musées pouvaient être ouverts. Qu’en sera-t-il lorsque celle-ci sera terminée ?
L’idée des parcours à l’intérieur d’une exposition, ça va rester. On a vu non seulement que ça marche, mais que les gens aiment ça. Un parcours, c’est rassurant. On a toujours peur de rater quelque chose dans un musée, de ne pas avoir vu la vitrine, ou le chef-d’oeuvre qu’il fallait voir, parce qu’on ne sait pas trop où c’était. Le parcours fait en sorte que les gens savent où ils doivent passer.
L’autre chose, c’est la réinvention des stations interactives. On avait beaucoup d’interactifs tactiles, et pour plusieurs mois, années, on va être plus prudent là-dessus, pour des raisons de santé et sécurité. On va trouver des alternatives.
Quelles initiatives numériques seront issues directement de la pandémie ?
On a un laboratoire d’innovation numérique au musée qui s’appelle le Mlab Creaform. On continue de faire du prototypage avec des entreprises privées, dont Maelstrom Creatif et Alaviva. Ils ont imaginé un prototype de mise en contact de la culture, pour des personnes qui sont, notamment, en CHSLD, âgées ou handicapées, qui ne peuvent absolument pas venir au musée. Il y a différents dispositifs, comme mini dôme qui est en train d’être imaginé pour pouvoir vivre une expérience immersive au-dessus de leur lit ou de leur fauteuil roulant.
Est-ce que les musées se tourneront vers des programmations plus locales ?
Il y a toujours eu un équilibre, dans les musées, entre programmation locale et internationale. Il faut qu’on conserve ça. Je ne suis pas capable d’imaginer, personnellement, qu’un musée comme le nôtre, même s’il accorde une priorité à l’histoire nationale, ne traite pas de sujets internationaux. C’est notre mandat. Il faut juste trouver le bon équilibre.
Le besoin de nos concitoyens de s’ouvrir sur le monde et de voyager d’une autre façon est important. Nous, on s’est dit qu’on allait faire voyager nos visiteurs. L’an prochain, on va les amener en Italie, avec Pompéi. Cité immortelle, et au Guatemala avec Mayas.
Vous avez déjà dit que le numérique n’est pas un ennemi de la culture et du patrimoine. En quoi le numérique aide-t-il la culture à passer à travers la crise ?
C’est un outil extraordinaire. En ce moment, le numérique permet de garder contact avec les publics, et ça, c’est important. C’est très long bâtir des publics. Qu’on soit dans une salle de spectacles, dans un musée, au cinéma et même à la télé. Il faut établir un lien de confiance et le maintenir, c’est essentiel. En ce moment, la meilleure façon de le faire, c’est avec le numérique et on voit beaucoup de créativité en ce moment. Je trouve que c’est très sain.