Un juge en chef qui ignorait la… règle
Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec a voyagé en Chine sans prévenir le commissaire.
Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques R. Fournier, a admis qu’il ignorait les règles déontologiques encadrant les déplacements des magistrats à l’étranger quand il a accepté, l’an dernier, un voyage tous frais payés en Chine.
M. Fournier a reconnu qu’il ne connaissait pas l’existence d’une politique du Conseil canadien de la magistrature (CCM) à ce sujet.
« Je ne l’ai jamais vue, je n’ai jamais entendu parler de ça de ma vie », a-t-il déclaré en entrevue.
En juin 2019, à l’invitation de l’université de Montréal et du gouvernement chinois, M. Fournier a séjourné une semaine à Pékin, où il a visité la Cour suprême et le Collège national des juges, l’institut qui forme les magistrats.
La politique du CCM stipule qu’avant de partir, tous les juges doivent aviser le commissaire fédéral à la magistrature de leur intention de se déplacer à l’étranger.
M. Fournier, lui-même membre du CCM, a pourtant affirmé le contraire à notre Bureau d’enquête.
« Je suis juge indépendant, a-t-il dit. Je n’ai pas à avertir le commissaire. »
DISCUSSION INFORMELLE
Confronté aux dispositions de la politique, M. Fournier a ensuite apporté des nuances dans une lettre transmise après l’entrevue.
« Je me suis souvenu avoir eu une conversation informelle avec le commissaire à la magistrature au sujet de mon voyage en Chine, mais il est fort possible que cette conversation se soit tenue après mon retour au Canada », a-t-il écrit.
Dans une deuxième lettre, le 17 novembre, M. Fournier déclare avoir communiqué depuis avec le commissaire. Il soutient que celui-ci lui a assuré que son voyage ne contrevenait à aucune politique.
Le commissariat fédéral à la magistrature, qui n’est pas habilité à se prononcer sur la conduite des juges, a refusé de confirmer toute information à ce sujet, se retranchant derrière son obligation de confidentialité.
PRIMAUTÉ DU DROIT
La politique met également les juges en garde contre toute invitation qui pourrait donner l’impression qu’ils cautionnent des pratiques contraires à la primauté du droit, comme la répression.
M. Fournier soutient avoir accepté l’invitation avant l’arrestation à Vancouver, le 1er décembre 2018, de la dirigeante du géant chinois des télécommunications Huawei, Meng Wanzhou, demandée par les États-unis.
Deux semaines plus tard, le Canada s’est retrouvé plongé dans une crise diplomatique sans précédent avec la détention arbitraire par la Chine de deux Canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig.
M. Fournier a déclaré que ces considérations ne l’ont pas incité à réévaluer sa décision d’aller à Pékin.
« Ça ne m’est jamais même passé par la tête que ce serait une façon d’endosser ce qui se passe en Chine », a-t-il plaidé.
Renoncer à l’invitation aurait été « pire ». « On aurait posé un geste politique », a-t-il dit.
Le procès en extradition de Mme Meng est entendu par la juge en chef adjointe de la Cour suprême de la Colombie-britannique, Heather J. Holmes, membre du CCM avec M. Fournier.
« On n’en parle jamais, jamais », a-t-il assuré à propos de Mme Holmes.