Le Journal de Quebec

Un juge en chef qui ignorait la… règle

Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec a voyagé en Chine sans prévenir le commissair­e.

- ALEXANDRE ROBILLARD

Le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques R. Fournier, a admis qu’il ignorait les règles déontologi­ques encadrant les déplacemen­ts des magistrats à l’étranger quand il a accepté, l’an dernier, un voyage tous frais payés en Chine.

M. Fournier a reconnu qu’il ne connaissai­t pas l’existence d’une politique du Conseil canadien de la magistratu­re (CCM) à ce sujet.

« Je ne l’ai jamais vue, je n’ai jamais entendu parler de ça de ma vie », a-t-il déclaré en entrevue.

En juin 2019, à l’invitation de l’université de Montréal et du gouverneme­nt chinois, M. Fournier a séjourné une semaine à Pékin, où il a visité la Cour suprême et le Collège national des juges, l’institut qui forme les magistrats.

La politique du CCM stipule qu’avant de partir, tous les juges doivent aviser le commissair­e fédéral à la magistratu­re de leur intention de se déplacer à l’étranger.

M. Fournier, lui-même membre du CCM, a pourtant affirmé le contraire à notre Bureau d’enquête.

« Je suis juge indépendan­t, a-t-il dit. Je n’ai pas à avertir le commissair­e. »

DISCUSSION INFORMELLE

Confronté aux dispositio­ns de la politique, M. Fournier a ensuite apporté des nuances dans une lettre transmise après l’entrevue.

« Je me suis souvenu avoir eu une conversati­on informelle avec le commissair­e à la magistratu­re au sujet de mon voyage en Chine, mais il est fort possible que cette conversati­on se soit tenue après mon retour au Canada », a-t-il écrit.

Dans une deuxième lettre, le 17 novembre, M. Fournier déclare avoir communiqué depuis avec le commissair­e. Il soutient que celui-ci lui a assuré que son voyage ne contrevena­it à aucune politique.

Le commissari­at fédéral à la magistratu­re, qui n’est pas habilité à se prononcer sur la conduite des juges, a refusé de confirmer toute informatio­n à ce sujet, se retranchan­t derrière son obligation de confidenti­alité.

PRIMAUTÉ DU DROIT

La politique met également les juges en garde contre toute invitation qui pourrait donner l’impression qu’ils cautionnen­t des pratiques contraires à la primauté du droit, comme la répression.

M. Fournier soutient avoir accepté l’invitation avant l’arrestatio­n à Vancouver, le 1er décembre 2018, de la dirigeante du géant chinois des télécommun­ications Huawei, Meng Wanzhou, demandée par les États-unis.

Deux semaines plus tard, le Canada s’est retrouvé plongé dans une crise diplomatiq­ue sans précédent avec la détention arbitraire par la Chine de deux Canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig.

M. Fournier a déclaré que ces considérat­ions ne l’ont pas incité à réévaluer sa décision d’aller à Pékin.

« Ça ne m’est jamais même passé par la tête que ce serait une façon d’endosser ce qui se passe en Chine », a-t-il plaidé.

Renoncer à l’invitation aurait été « pire ». « On aurait posé un geste politique », a-t-il dit.

Le procès en extraditio­n de Mme Meng est entendu par la juge en chef adjointe de la Cour suprême de la Colombie-britanniqu­e, Heather J. Holmes, membre du CCM avec M. Fournier.

« On n’en parle jamais, jamais », a-t-il assuré à propos de Mme Holmes.

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 ?? PHOTOS TIRÉES DU SITE WEB COLLÈGE NATIONAL DES JUGES DE CHINE ?? Le juge en chef Jacques R. Fournier (encerclé sur les deux photos) a été reçu en juin 2019 en Chine, en compagnie de son collègue juge à la Cour supérieure du Québec, André Wery. Ils ont visité des tribunaux, dont celui spécialisé dans les causes liées à internet.
PHOTOS TIRÉES DU SITE WEB COLLÈGE NATIONAL DES JUGES DE CHINE Le juge en chef Jacques R. Fournier (encerclé sur les deux photos) a été reçu en juin 2019 en Chine, en compagnie de son collègue juge à la Cour supérieure du Québec, André Wery. Ils ont visité des tribunaux, dont celui spécialisé dans les causes liées à internet.
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PHOTO D’ARCHIVES, CHANTAL POIRIER Le juge en chef Jacques R. Fournier n’avait jamais entendu parler des règles qui encadrent les voyages à l’étranger des magistrats canadiens. Cette photo a été prise lors d’une entrevue accordée au Journal par le juge il y a deux ans.

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