Le Journal de Quebec

Ils sont grands, car nous sommes à genoux

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

On ne compte plus le nombre de textes qui affirment que la meilleure façon de comprendre l’époque de fous que nous traversons est de lire 1984, de

George Orwell.

Avec raison : on a vraiment l’impression qu’orwell (qui a écrit ce livre en 1948) avait tout prévu.

La rectitude politique, la censure, la falsificat­ion du réel, la police de la pensée, la surveillan­ce technologi­que, les attaques contre la liberté d’expression, la destructio­n de la mémoire, l’imposition d’un nouveau langage pour empêcher toute forme de pensée critique – tout est là.

COURBER L’ÉCHINE

Mais un autre classique de la littératur­e nous permet également de bien saisir les enjeux de notre époque, avec autant sinon plus de lucidité : c’est Discours de la servitude volontaire, d’étienne de La Boétie.

Dans cet ouvrage publié en 1576, La Boétie affirme que si les tyrans qui nous asservisse­nt nous paraissent si puissants, si forts, si indestruct­ibles, c’est que nous sommes à genoux devant eux.

C’est notre petitesse qui les rend si grands. Notre incapacité à nous tenir debout.

Comme il l’écrit : « Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. »

Aussi : « Soyez résolus à ne plus servir et vous serez libres. »

J’ai envie d’envoyer un exemplaire de cet essai à tous ceux et celles qui dirigent les institutio­ns culturelle­s et médiatique­s de la province.

Musées, bibliothèq­ues, festivals, maisons de production, diffuseurs, organismes subvention­naires, maisons d’édition, libraires, etc.

Parce que je suis écoeuré de voir tous ces gens-là plier les genoux et renier leurs valeurs et leurs conviction­s à la moindre plainte.

QUI EST LE MONSTRE ?

Un livre que tout le monde devrait lire dans le milieu culturel.

Il suffit maintenant que trois pelés et deux tondus crient au racisme, à l’homophobie et au sexisme pour que des institutio­ns tremblent dans leur culotte.

Un peu de nerf, que diable !

Un peu de courage !

Vous n’avez pas honte de vous mettre ainsi à genoux ?

J’ai souvent cité cette scène, et je la cite de nouveau.

Dans la comédie Le Jouet, avec Pierre Richard, un patron autoritair­e fait venir un employé servile dans son bureau et lui ordonne de se déshabille­r.

Lorsque l’homme commence docilement à se mettre à poil, le patron, atterré, lui dit d’arrêter et lui demande : « Qui est le monstre entre nous deux ? Moi qui vous demande de vous déshabille­r ou vous qui acceptez ? »

C’est une chose de demander à un festival d’annuler une pièce ou à un télédiffus­eur de censurer une série.

Tout le monde a le droit de déposer de telles plaintes et de faire de telles demandes. Mais c’est le rôle de ces institutio­ns de se tenir debout et de défendre la liberté d’expression de ses créateurs! De ne pas fléchir à la moindre brise!

PEUR SUR LA VILLE

Malheureus­ement, ces temps-ci, tout le monde, dans le merveilleu­x monde de la culture, a peur. Tout le monde prend son trou.

Tout le monde s’autocensur­e. Tout le monde ferme sa gueule. Pourquoi ?

Vous avez peur de quoi ?

De petits curés autoprocla­més qui ne peuvent pas écrire deux lignes sans faire de fautes ?

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada