Deux mairesses ont fait pression pour annuler un ticket
La police et la Cour ont été contactées à propos d’une contravention remise au conjoint d’une connaissance
Les mairesses de Pointe-calumet et de Sainte-marthe-sur-le-lac se sont ingérées dans le processus judiciaire pour faire annuler un constat d’infraction de stationnement, allant même jusqu’à faire pression sur un chef de police et chercher à parler au procureur au dossier.
Notre Bureau d’enquête a reconstitué le fil des interventions des deux élues depuis l’émission d’un constat d’infraction de 150 $ en juillet.
La contravention avait été remise au conjoint d’une connaissance de la mairesse de Pointe-calumet, Sonia Fontaine.
Les efforts des deux mairesses de villes voisines ont porté leurs fruits puisque l’homme en question, un policier de la Régie intermunicipale de police Thérèse-de Blainville, a finalement été acquitté en novembre par la Cour municipale de Deux-montagnes.
Nous vous relatons ci-contre la séquence des événements durant laquelle :
√ La mairesse Fontaine a demandé au directeur de la Régie de police du Lac des Deux-montagnes d’annuler la contravention ;
√ La mairesse de Sainte-marthe-sur-leLac, Sonia Paulus, a joint la Cour municipale pour tenter d’entrer en contact avec le procureur assigné au dossier ;
√ La Municipalité de Pointe-calumet a adopté une résolution au conseil municipal pour demander carrément à la Cour de retirer ledit constat.
JUSTICE ÉBRANLÉE
Nous avons joint les deux mairesses, qui ont admis une partie des faits allégués (voir texte ci-contre).
Selon nos informations, cette histoire a lourdement ébranlé tant le milieu policier que le milieu judiciaire de la région dans les dernières semaines. Mal à l’aise, la direction de la Cour municipale de Deux-montagnes a même tenté de faire transférer le cas dans une autre juridiction, cet automne.
« Mon unique préoccupation était d’éviter que la Cour municipale et la Régie de police du Lac des Deux-montagnes soient accusées de favoritisme, parce que Mme Sonia Paulus, mairesse et avocate, a contacté la greffière de la Cour municipale à l’égard d’un dossier où la mairesse de Pointe-calumet était susceptible d’être assignée comme témoin », nous a confirmé par écrit le greffier et directeur des services juridiques de Deux-montagnes, Me Jacques Robichaud.
Selon plusieurs observateurs, le principe de séparation des pouvoirs entre le judiciaire et le politique a été bafoué dans ce dossier.
« Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une Cour municipale que ce principe cesse d’exister. Viendrait-il à l’idée d’un élu de contacter un procureur du DPCP pour simplement s’enquérir d’un dossier ? » soutient Jacques Robichaud.
« On se souvient qu’un dénommé Jean Charest, alors ministre d’état à la Condition physique et au Sport amateur dans le cabinet de Brian Mulroney, avait été dans l’obligation de démissionner de son poste de ministre parce qu’il avait contacté le bureau d’un juge dans un litige opposant un entraîneur d’athlétisme et une fédération sportive », rappelle le greffier.
« Ce cas d’espèce d’intervention du politique dans le judiciaire est tellement grave » que la Commission municipale du Québec pourrait commencer une enquête sur-le-champ, croit Rémy Trudel, ancien ministre des Affaires municipales et professeur à l’école nationale d’administration publique.
« C’est plus qu’une question d’éthique. C’est une question d’illégalité. C’est une action illégale d’intervenir auprès d’un policier ou d’une cour de justice pour faire annuler une contravention », note-t-il.
« INFRACTION TRÈS GRAVE »
Au point de vue strictement juridique, l’interférence d’un élu dans une cour judiciaire relève de l’infraction criminelle, indique l’avocat spécialiste en droit municipal et associé chez Lavery Daniel Bouchard.
« Ce sont les articles 121 et 122 du Code criminel. C’est un abus de pouvoir. [...] C’est clair qu’on ne peut pas faire ça. […] Quand un maire intervient auprès de la cour municipale pour qu’elle retire un constat d’infraction, il n’accomplit pas une fonction municipale. Il abuse de son pouvoir à des fins personnelles », indique ce dernier.
« C’est une infraction très grave. La séparation des pouvoirs dans notre système, c’est un joyau. Les tribunaux sont très pointilleux là-dessus et très sévères sur ces questions-là. Ce n’est pas une petite chose. »