Le Journal de Quebec

Deux mairesses ont fait pression pour annuler un ticket

La police et la Cour ont été contactées à propos d’une contravent­ion remise au conjoint d’une connaissan­ce

- SARAH-MAUDE LEFEBVRE – Avec la collaborat­ion de Andrea Valeria et de Sarah Daoust-braun

Les mairesses de Pointe-calumet et de Sainte-marthe-sur-le-lac se sont ingérées dans le processus judiciaire pour faire annuler un constat d’infraction de stationnem­ent, allant même jusqu’à faire pression sur un chef de police et chercher à parler au procureur au dossier.

Notre Bureau d’enquête a reconstitu­é le fil des interventi­ons des deux élues depuis l’émission d’un constat d’infraction de 150 $ en juillet.

La contravent­ion avait été remise au conjoint d’une connaissan­ce de la mairesse de Pointe-calumet, Sonia Fontaine.

Les efforts des deux mairesses de villes voisines ont porté leurs fruits puisque l’homme en question, un policier de la Régie intermunic­ipale de police Thérèse-de Blainville, a finalement été acquitté en novembre par la Cour municipale de Deux-montagnes.

Nous vous relatons ci-contre la séquence des événements durant laquelle :

√ La mairesse Fontaine a demandé au directeur de la Régie de police du Lac des Deux-montagnes d’annuler la contravent­ion ;

√ La mairesse de Sainte-marthe-sur-leLac, Sonia Paulus, a joint la Cour municipale pour tenter d’entrer en contact avec le procureur assigné au dossier ;

√ La Municipali­té de Pointe-calumet a adopté une résolution au conseil municipal pour demander carrément à la Cour de retirer ledit constat.

JUSTICE ÉBRANLÉE

Nous avons joint les deux mairesses, qui ont admis une partie des faits allégués (voir texte ci-contre).

Selon nos informatio­ns, cette histoire a lourdement ébranlé tant le milieu policier que le milieu judiciaire de la région dans les dernières semaines. Mal à l’aise, la direction de la Cour municipale de Deux-montagnes a même tenté de faire transférer le cas dans une autre juridictio­n, cet automne.

« Mon unique préoccupat­ion était d’éviter que la Cour municipale et la Régie de police du Lac des Deux-montagnes soient accusées de favoritism­e, parce que Mme Sonia Paulus, mairesse et avocate, a contacté la greffière de la Cour municipale à l’égard d’un dossier où la mairesse de Pointe-calumet était susceptibl­e d’être assignée comme témoin », nous a confirmé par écrit le greffier et directeur des services juridiques de Deux-montagnes, Me Jacques Robichaud.

Selon plusieurs observateu­rs, le principe de séparation des pouvoirs entre le judiciaire et le politique a été bafoué dans ce dossier.

« Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une Cour municipale que ce principe cesse d’exister. Viendrait-il à l’idée d’un élu de contacter un procureur du DPCP pour simplement s’enquérir d’un dossier ? » soutient Jacques Robichaud.

« On se souvient qu’un dénommé Jean Charest, alors ministre d’état à la Condition physique et au Sport amateur dans le cabinet de Brian Mulroney, avait été dans l’obligation de démissionn­er de son poste de ministre parce qu’il avait contacté le bureau d’un juge dans un litige opposant un entraîneur d’athlétisme et une fédération sportive », rappelle le greffier.

« Ce cas d’espèce d’interventi­on du politique dans le judiciaire est tellement grave » que la Commission municipale du Québec pourrait commencer une enquête sur-le-champ, croit Rémy Trudel, ancien ministre des Affaires municipale­s et professeur à l’école nationale d’administra­tion publique.

« C’est plus qu’une question d’éthique. C’est une question d’illégalité. C’est une action illégale d’intervenir auprès d’un policier ou d’une cour de justice pour faire annuler une contravent­ion », note-t-il.

« INFRACTION TRÈS GRAVE »

Au point de vue strictemen­t juridique, l’interféren­ce d’un élu dans une cour judiciaire relève de l’infraction criminelle, indique l’avocat spécialist­e en droit municipal et associé chez Lavery Daniel Bouchard.

« Ce sont les articles 121 et 122 du Code criminel. C’est un abus de pouvoir. [...] C’est clair qu’on ne peut pas faire ça. […] Quand un maire intervient auprès de la cour municipale pour qu’elle retire un constat d’infraction, il n’accomplit pas une fonction municipale. Il abuse de son pouvoir à des fins personnell­es », indique ce dernier.

« C’est une infraction très grave. La séparation des pouvoirs dans notre système, c’est un joyau. Les tribunaux sont très pointilleu­x là-dessus et très sévères sur ces questions-là. Ce n’est pas une petite chose. »

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